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rent pareillement sous le niveau égalitaire de la nécessité les manifestations de la substance divine et les actes de l’âme humaine. Il n’y a qu’un enchaînement de faits, et c c’est même chose de dire que tout arrive d’après les lois de la nature, ou que tout s’ordonne suivant les décrets et le gouvernement de Dieu. » (Tract., c. 3.) Bien qu’il n’y ait nulle part de finalité intentionnelle l’humanité a une fin suprême, et c’est la connaissance de l’éternelle nécessité, d’un autre nom l’amour de Dieu. Si tout individu n’y atteint pas, c’est que l’homme est partie intégrante de l’univers et que par là il est assujetti à mille relations étrangères. L’histoire universelle n’est que le déroulement visible de l’éternelle nécessité, y compris l’histoire de l’humanité.

Tout autre est la pensée de Leibniz. À cet esprit conciliateur en qui les extrêmes se rapprochent jusqu’à se confondre, à cet homme de cour, le monde métaphysique se présente sous un aspect peu différent du monde humain : au sommet, la monade incréée, siège des vérités éternelles, créatrice et ordonnatrice du monde qu’elle a fait pour la plus haute félicité. La cité terrestre doit être une image de la cité céleste : partant, Leibniz rêve la monarchie universelle avec l’unité des Églises. Là n’est point l’originalité de sa philosophie de l’histoire : elle est dans l’intuition encore confuse de l’évolution progressive et morale de l’individu ainsi que de l’espèce. Leibniz n’en reste pas moins déplorablement imbu de l’esprit théologique, et son optimisme trop prompt à absoudre les faits et le succès n’a pas été, dit M. Mayr, sans exercer une action funeste sur l’Allemagne du xviiie siècle.

Vico, dont le sens poétique a renouvelé l’histoire du monde ancien, est plus encore en dehors du courant européen que dirigent Bayle, Locke et Montesquieu. À beaucoup d’égards, c’est un « théologien séculier » : il admet sans plus le mythe d’Adam, vénère les traditions hébraïques, et divise tout le développement de l’humanité en histoire sainte et histoire profane. De même que pour les PP. de l’Église toute l’histoire s’explique par l’histoire du peuple hébreu, tout se ramène, selon Vico, à l’histoire du monde gréco-romain. Enfin sa théorie des ricorsi est exclusive de toute idée de progrès.

III. Le présent volume de M. Mayr s’arrête au seuil du xviiie siècle, mais en nous laissant entrevoir l’Age nouveau (dernier chapitre). La pensée nouvelle a résolument rompu avec la philosophie historique des anciens et des théologiens : il ne doit plus être question pour elle d’une autorité supérieure quelconque, religion historique, droit et état historique, morale et esthétique traditionnelles. La grande révolution française a consommé le divorce ; grâces en soient rendues au xviiie siècle, l’impitoyable siècle du rationalisme en histoire. C’est pour avoir pris cette initiative hardie que depuis 1650 environ, « la France, aussi bien dans le domaine dé la philosophie historique que dans tout autre en général, marche à la tête des nations. »

Il en est résulté que la méthode d’explication et la méthode d’appréciation en histoire ont subi une complète transformation. En fait, le