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ESSAIS SUR LE SYLLOGISME



I. — Les trois figures.


Que la théorie des figures du syllogisme ait été absolument inutile à la constitution de la science, cela ne suffit pas à expliquer le discrédit profond dont elle est frappée, même au sein de l’école. Toutes les tentatives de méthodologie générale ont si peu servi directement au progrès ! Bacon, sous ce rapport, n’a certes pas été plus heureux qu’Aristote. C’est que la science se constitue à elle-même ses méthodes, au fur et à mesure de son avancement. Autant l’invention d’un nouveau procédé particulier, applicable à une classe de problèmes jusqu’alors inabordables, est féconde en résultats, fruit du véritable génie scientifique, autant il paraît vain jusqu’à présent de vouloir systématiser l’ensemble des procédés déjà connus pour enfermer l’esprit humain dans un cadre tracé à l’avance. L’utilité réelle des travaux philosophiques sur la méthode est sans doute toute différente de ce but illusoire. L’inventaire, la description et le classement des moyens employés dans la poursuite de la vérité, ne seront, d’une part, jamais terminés ; jamais, de l’autre, ils ne suffiront, au même titre que les travaux purement scientifiques, à enseigner le maniement de ces moyens ; mais ils peuvent servir à constater les lacunes et les imperfections, et, en appelant l’attention sur elles, provoquer indirectement les progrès qui seront dus plus tard aux heureux chercheurs de voies nouvelles.

Mettons donc hors de cause, pour la question que nous avons posée, l’inutilité, au point de vue scientifique, de la théorie des figures du syllogisme, et contentons-nous d’examiner si elle n’a en réalité aucun lien avec les méthodes des sciences modernes. Si nous arrivons à établir un rapport de cette sorte, si nous voyons fonctionner en fait le syllogisme dans la science sous diverses formes profondément distinctes, n’apprendrons-nous pas d’ailleurs davantage sur son essence que par l’étude des exemples abstraits de logique, où, sur dix-neuf modes, dix-sept au moins ne peuvent guère nous apparaître que comme des modifications grammaticales ou des transformations bâtardes de deux raisonnements seuls possibles, celui à conclusion universelle et celui à conclusion particulière[1] ?

  1. Nous aurons l’occasion de développer cette idée dans un second Essai, « l’Application de l’algèbre au syllogisme de l’école. »