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devant elles, bien plus que devant la douleur elle-même, s’enfuit la force froide, mourante, qui n’éveille aucun écho.

« La fleur se colore aux premiers rayons de l’aurore ; le mal apparaît dès les premières émotions du cœur.

« Devoir du père, tu as ordonné que la condescendance paternelle ne dépasse jamais les bornes de l’amour uni à la sévérité. Quelle résistance doit ressentir le devoir semblable de la mère, quand, domptant sa propre tendance, celle-ci vient à remplacer le père !

« L’amour n’est pas un plaisir : c’est un instrument du mal ; il est une forme du suicide dans une mer profonde.

« Il est si douloureux de n’être pas compris précisément parce que la chose la plus délicate en nous est aussi la plus sensible à notre cœur.

« Honneur du marché, place aux meilleurs clients ! Telle est l’insulte que te lance à la face celui qui détourne les yeux sur le riche, parce que tes commandes sont modérées !

« Les dieux donnent des enfants aux pauvres, le plus grand nombre aux plus pauvres : mais le pain montre-t-il pour tous autant de complaisance ! Depuis le temps des aïeux, la vie n’a été qu’octroyée, et pas même comme chose qui appartient…

« Nous ne présentons qu’un talon d’Achille aux chatouillements agréables de la vie…

« Charge du tragique : Un homme dit à un autre : On ne peut s’expliquer avec toi. Tous les deux ont raison : aussi aucun arbitre ne vient-il à leur secours.

« Il n’y a d’excellent dans la vie que la manière dont on la conduit : sans trêve et sans repos chanceler en aveugle dans l’abîme.

« En voilà un sur une table qui tiraille les muscles d’une grenouille : le souverain de cet univers nous agite avec autant de joie.

« Philosophe est le médecin ; au médecin ressemble le penseur ; tous deux subtilisent sur les maux de l’univers…

« Toute chose purement relative est déjà un néant ; c’est un μὴ ὄντος ὄν. »

Il y aurait pourtant de l’injustice à prétendre que la personnalité de l’auteur n’a pas effleuré maint passage de son livre. Mais, hélas ! aucun plaisir n’est sans mélange, et, pour pouvoir s’envoler de ses propres ailes, elle a dû trop souvent s’égarer dans les sentiers de la fantaisie inintelligible. La nolonté (der Null-Wille) n’absorbera jamais en elle le positif des réalités impérissables, parce que si ( ÷ a) + (+ a) = 0, (+) a + –: (0) = a. Devine qui pourra.

Une âme qui n’a plus d’illusions pouvait-elle se tromper sur la valeur de son œuvre ? La platitude du poète, la banalité du philosophe devaient-elles échapper à l’œil exercé du pessimiste ? « Le meilleur a été dit ; à peine quelque chose de neuf ou d’oublié peut avoir encore le charme du piquant. » Cette mélancolique pensée est la conclusion du livre.

L’artiste cependant trouve grâce et excuse auprès du métaphysi-