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analyses. — penjon. Georges Berkeley.

ments sont des grains de sable ou de silex agglutinés en pierres de diverses formes : attachées deux à deux ou plusieurs à plusieurs, ces pierres font des masses dont les poussées s’équilibrent, et toutes ces associations, toutes ces pressions s’ordonnent en une vaste harmonie. »

Th. R.

A. Penjon. — Georges Berkeley, évêque de Cloyne, sa vie et ses œuvres. Paris, Germer Baillière et Cie 1879.

Ce livre est l’étude la plus complète et la plus approfondie que nous ayons sur Berkeley. Quant aux idées personnelles de M. Penjon, si elles n’ont pas reçu dans ce premier ouvrage tout le développement qu’elles comportent, nous espérons bien qu’elles ne tarderont pas à se produire sous une forme plus arrêtée, dans un ordre plus méthodique, et qu’il nous sera possible alors de les discuter avec quelque fruit.

M. Penjon n’a pas cru devoir séparer en Berkeley l’homme du penseur ; la biographie se mêle intimement dans son livre à l’exposition du système. Nous sommes loin de lui en faire un reproche. Cette méthode, appliquée avec bonheur par M. Lewes dans son Histoire de la philosophie, nous paraît à la fois la plus intéressante et la plus exacte. Les philosophes, fussent-ils Descartes ou Spinoza, ne sont pas de purs esprits ; et l’on risque de ne pas toujours les bien comprendre si l’on ne tient compte des événements au milieu desquels ils ont vécu, des influences diverses qui ont pu déterminer l’évolution de leurs idées. Il nous a toujours paru qu’on devait attacher une grande importance, dans l’étude d’une doctrine, à l’ordre chronologique des différents écrits d’un philosophe ; le négliger, n’est-ce pas renoncer à reproduire la genèse vivante du système, le mutiler bien souvent, et lui imposer une sorte de rigidité abstraite que, dans la pensée de son auteur, il n’avait pas ? Qui ne sait de quel secours serait la connaissance d’un tel ordre — pour l’intelligence entière de Platon ? Pour Berkeley, non-seulement l’ordre nous est connu, mais lui-même exprime le désir que, dans la lecture de ses ouvrages, on ne s’en écarte pas. M. Penjon ne pouvait qu’obéir à cette recommandation.

Nous ne le suivrons pas dans le récit qu’il nous fait, avec beaucoup de charme, des premières années de Berkeley, de ses voyages, de son épiscopat à Cloyne, en Irlande, de sa retraite à Oxford, de sa vieillesse, et de sa mort, si pleine de sérénité. Certes, si le penseur fut remarquable, l’homme était excellent. Son amour pour l’humanité fut sincère et actif, sa vie privée irréprochable, son caractère séduisant au point qu’on ne lui connut pas d’ennemis. C’est la charité qui le rendit philosophe. Il s’épouvanta des maux dont il crut la société menacée par le scepticisme et l’athéisme ; il lui sembla que la cause en était dans la fausse opinion d’une matière existant par soi : de là sa doctrine.