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séailles. — la science et la beauté.

vation de phénomènes extérieurs, sans s’inquiéter de la nature de l’esprit. M. E. Véron a été très-frappé de l’insuffisance des théories à tout expliquer ; il n’est ni Allemand ni métaphysicien ; il est Français : il veut voir et il sait regarder. Il a juré de garder son sang-froid, d’observer, d’analyser, de dire simplement ce qu’il aurait vu. Aussi l’impression produite est-elle singulière ; on est surpris de lire un livre sur le beau, écrit froidement par un homme de goût, qui ne se croit pas obligé de dépasser sa pensée, d’exagérer ses sentiments, de s’exalter par un enthousiasme factice. Mais si cette œuvre intéressante, sincère, riche de faits, riche d’impressions personnelles, devenues des idées par la réflexion, ne pèche pas par excès, peut-être pèche-t-elle par défaut ? — La science est modeste : elle se tait quand elle ignore. — Soit ; mais la science ne néglige aucun moyen d’information ; elle ne se borne pas à énumérer les faits, elle en cherche l’explication ; ce n’est pas la réserve de l’auteur que nous blâmons, c’est sa méthode, qui lui semble si insuffisante à lui-même qu’il ne la suit pas et fait sans cesse de la psychologie sans le savoir.

Sa méthode est celle qu’A. Comte proposait pour remplacer l’observation de soi-même : prendre une connaissance de plus en plus complète du système nerveux, organe de la pensée, en même temps étudier l’histoire, assister à la vie extérieure de l’humanité, observer les actes de l’homme comme des phénomènes naturels, chercher entre ces actes des rapports constants, des successions invariables ; puis, ce double travail accompli, rapprocher les résultats de la physiologie et de l’histoire, les rouages de l’organisme cérébral des effets qu’il produit en agissant. L’homme n’est ainsi pour lui-même qu’un objet extérieur, qu’il regarde du dehors, une machine très-compliquée, dont il connaît mal les ressorts, mais qui, comme toutes les forces de la nature, obéit à des lois nécessaires qu’il est possible de déterminer. D’après celte méthode, quelle sera la tâche de l’esthéticien ? Il exposera l’état de nos connaissances sur la structure des organes de l’ouïe et de la vue, les découvertes de la science sur la lumière, les couleurs et les sons ; il cherchera dans l’organisme la raison de la jouissance esthétique ; il étudiera les diverses manifestations du génie artistique comme des faits extérieurs ; il cherchera, dans l’histoire des œuvres de l’art, les conditions favorables ou nécessaires à leur production ; il tirera de cette histoire des conclusions pratiques, qu’il proposera au nom de la longue expérience de l’humanité.

Que cette méthode ne soit pas stérile, c’est ce que prouve suffisamment le livre de M. Véron ; qu’elle soit incomplète, c’est ce qui nous paraît aussi clairement établi par son œuvre. Constater des