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analyses.espinas. Des sociétés animales.

les théories sociales. Dans l’antiquité, M. Espinas n’étudie que Platon et Aristote. Nous regrettons qu’il n’ait consacré que quelques lignes aux stoïciens. De là il passe à Hobbes et à Locke, deux représentants de la conception abstraite de l’État, considéré comme en dehors de la nature. Avec Spinoza, Montesquieu et les Économistes, on en revient aux vues d’Aristote et à sa méthode, c’est-à-dire que la société est considérée comme un être concret, faisant partie de la nature, et qui doit être étudié par la méthode d’observation.

La tendance qui prévaut avec Rousseau et le Contrat social est trop connue pour y insister. Nous relevons seulement une ingénieuse remarque de M. Espinas, qui se demande comment Rousseau, l’apôtre de la nature et des droits naturels de l’homme, a pu combattre la doctrine qui fait de la société une partie de la nature. « Rien de moins surprenant pour qui sait le sens tout platonicien que prêtent à ce mot de nature le Contrat social et l’Émile. La nature n’est pas un état d’imperfection d’où l’homme se serait élevé péniblement jusqu’au point où nous le voyons aujourd’hui ; c’est un état de perfection, celui où serait l’homme qui aurait développé toutes ses puissances, seul état dont on puisse dire que c’est le vrai état de l’homme, puisque l’être qui s’en écarte est par là même incomplet et dégradé. » Kant et Fichte repoussent la thèse de Rousseau : le premier la mitige ; le second est conduit par sa métaphysique à faire de la société « une juxtaposition de volontés, un monde des âmes. » Enfin, pour Hegel, la société est un être physique qui ne peut devenir un être moral et s’élever au-dessus du monde matériel qu’en obéissant à ses lois.

Dans cette revue rétrospective, nous signalerons les pages consacrées à Joseph de Maistre. Ce célèbre représentant de l’école théologique, qui, après avoir été si vivement combattu par l’école éclectique, est si peu connu de la génération philosophique actuelle, soutenait avec beaucoup de force qu’il n’y a qu’une bonne méthode en politique, la méthode expérimentale, « que toute question sur la nature de la société doit se résoudre par l’histoire. » C’est, à notre avis, dit M. Espinas, un fait très-significatif, que cette adhésion de l’école théologique à la doctrine qui fait de la société un être de nature et veut qu’on applique à ce grand objet la méthode expérimentale. Rien ne montre mieux le faible lien qui rattache telle conception sociale théorique à telle métaphysique d’une part, et d’autre part, tant que la science n’est pas organisée, à telle politique. — L’auteur a consacré quelques pages intéressantes à signaler l’influence de Vico sur Joseph de Maistre.

En entrant dans la période contemporaine, la conception organique de la société devient un fait général. Tout concourt à l’imposer : les travaux des statisticiens et des économistes ; l’histoire politique, sociale, littéraire, religieuse ; la linguistique ; enfin la biologie, qui établit les trois propositions suivantes, « qui à elles seules forment une science sociale en raccourci : » 1o l’individu est une société, c’est-à-dire que tout vivant est composé de vivants ; 2o l’individualité du composé, loin d’exclure