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analyses. — zaborowski. De l’origine du langage.

prend que l’analyse scientifique retrouve au fond des langues les plus incultes toujours ces mêmes éléments, naturels et artificiels à la fois, et Tylor a pu dire que « la grande masse des mots de toute langue serait le résultat des adaptations et des variations qu’ont subies ces sons primitifs dans le cours des âges, ce qui expliquerait qu’on ne puisse plus saisir de liaison entre l’idée et le son qui l’exprime. »

La démonstration peut en être indiquée en quelques lignes. Toute langue, la plus raffinée comme la plus grossière, renferme une série de sons expressifs d’origine réflexe, interjective ou imitative, dont le sens est le même partout. Souvent le cri interjectif ou imitatif passe de l’acception concrète au sens abstrait et général, sans être modifié. « Dans le jargon chinouk du nord-ouest de l’Amérique, dont l’étude est si fructueuse pour l’objet qui nous occupe, nous trouvons le verbe kish-kish, deux cris du dialecte indien employés dans le sens de conduire du bétail et surtout des chevaux. L’imitation articulée du rire, heehee, y devient un terme distinct signifiant gaieté ou amusement, comme dans mamook heehee, s’amuser, c’est-à-dire make heehee, faire heehee, et dans heehee house, une taverne, un lieu de plaisir. » Comparez en grec l’interjection ἀλαλά et le mot ἀλαλάζω, pousser des cris de guerre : la flexion verbale seule fait la différence du concret et de l’abstrait. « Le Zulu accablé de chaleur s’écrie : hi-le-hi-lah ! ha ! et par analogie il exprime que le temps est brûlant à l’aide de cette formule : « Le temps dit ha-ha. » Il résulte des observations de ce genre que, chose curieuse, l’homme imite ses propres cris émotionnels pour les ajuster à sa pensée. On ne s’étonnera pas qu’il imite les bruits du dehors. « La simple imitation du bruit de casser est devenue le verbe anglais to crack… Le français craquer, l’allemand krachen ont d’ailleurs la même origine. En sanscrit, scie se dit kra-kra et kra-kacha : qui crie kra. » Mais, selon les variétés de l’état sensationnel concomitant, il y aura, on le conçoit, des différences entre ces mots imitatifs. « Ainsi le bruit du canon que nous imitons par le mot boum, les Australiens l’imitent parle mot toup… Le chant du coq est imité en yorubo par koklo, en ibo par okoko, en zulu par kuku, en finnois par kukko, en sanscrit par’huhkuta. »

Le développement du langage étant parallèle au développement de la pensée, la formation des racines verbales marque une phase capitale de l’association des idées et des sensations. Sur ce point, M. Zaborowski combat une assertion particulière de M. Taine, émise dans le premier numéro de cette Revue. Si le mot suggéré à l’enfant est étendu par cette petite intelligence à des objets parfois tout autres, ce n’est point une marque que l’enfant se soit élevé à une idée générale, comme le croit M. Taine : il n’y a dans cette extension du mot qu’un phénomène « d’application analogique ». « La généralisation n’est en aucun ordre un point de départ. La placer à l’origine même du langage comme un procédé de sa formation, quand elle n’en est qu’un des résultats les plus évidents, c’est faire une confusion évidente… Les idées générales