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analyses. — benno erdmann. Philosophie in Deutschland.

se complaît, ne voit plus dans le dogmatisme chrétien et la hiérarchie de ses puissances célestes que la personnification des vérités que la métaphysique et la science lui ont découvertes, qu’une confirmation anticipée de son système. Comme il le déclare lui-même quelque part, il est plus attaché à la lettre de la Bible que le croyant le plus fidèle, plus pénétré de l’esprit des Écritures que le rationaliste chrétien le plus attentif. Il sait faire des objections prétendues de la science autant de raisons nouvelles de croire.

L’originalité de la méthode de Fechner nous apparaît clairement dans cet exemple. Il n’a recours ni à la déduction à priori, ni à l’induction expérimentale. Il ne croit ni aux révélations de la dialectique hégélienne, ni à l’autorité exclusive des faits. À la méthode des métaphysiciens et à celle des savants, il préfère une méthode intermédiaire, celle de l’analogie, qui tient à la fois de l’une et de l’autre, et qui essaye dans ses hypothèses de faire également la part à l’imagination et à l’expérience. Dans la main de Fechner, cette méthode conduit aux plus surprenants résultats : jamais plus de science n’a été mise au service de plus d’imagination. On s’attend bien sans doute que ni les purs savants ni les artistes proprement dits ne trouvent toujours leur compte à ce mélange inattendu d’éléments hétérogènes. Les esprits philosophiques, qui ont l’intelligence et le goût des nuances, et qui savent par quelles transitions insensibles les choses les plus distinctes pour nos sens et notre pensée se rejoignent et se confondent dans la réalité, ceux-là souriront avec une indulgente incrédulité aux fantaisies de cette philosophie humoristique, et sauront démêler la sagesse cachée sous l’apparente folie de tant de pages ingénieuses ou charmantes.

Toute autre est la méthode de Lotze. Il se garde bien de mêler indiscrètement l’expérience et l’hypothèse, de donner des analogies pour des démonstrations. Ses conclusions sont toujours scrupuleusement déduites des prémisses qui les ont préparées ; et il ne se montre pas moins soucieux de l’exactitude des expressions que de la vigueur du raisonnement. Non pas que sa riche et poétique imagination ne se plaise aux comparaisons qui rendent l’idée abstraite sous des formes sensibles ; mais il sait éviter que l’image n’altère la pensée ou ne la fasse oublier. Elle ne sert qu’à en accuser davantage le relief, qu’à en mieux dessiner les contours, qu’à faciliter, qu’à retenir sur l’objet le regard distrait de l’esprit.

Lotze a exposé, dans l’Introduction au microcosme, son ouvrage capital, la tendance générale de sa doctrine. Il veut une philosophie qui satisfasse à la fois l’entendement et le cœur. La vérité vraie, non pas celle dont se contente le savant, non plus que celle qui suffit aux aspirations de l’artiste, ne se laisse saisir que par l’homme tout entier. Son langage, à la fois sévère et doux, s’adresse au sentiment autant qu’à la raison : ni la science ni la poésie ne suffisent isolément à l’interpréter. Il faut pour en avoir, au moins, une traduction approchée les associer l’une et l’autre sous le contrôle et la direction suprême de la pensée