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fois la philosophie pratique avait une chaire spéciale, l’enseignement de l’éthique est parfois complètement sacrifié. Les auteurs qui ne dédaignent pas de revenir à la science délaissée s’occupent plus d’analyser les causes de nos actions que d’en déterminer les règles. L’éthique fait place à la psychologie et à une psychologie qui s’inspire avant tout du pessimisme de Schopenhauer, et se plaît à développer après lui l’incontestable, bien que douloureuse vérité, que l’humanité, vue dans l’ensemble, est aussi mauvaise que malheureuse. Ajoutons, pour compléter ce tableau, que l’étude de l’éthique est devenue tout à fait étrangère à celle du droit et de l’économie politique ; et l’on paraît avoir oublié que la jurisprudence a ses racines dans la morale.

L’histoire de la philosophie bénéficie de cet abandon de la philosophie pratique. Elle tient dans l’enseignement des universités la place qu’on refuse à cette dernière, et qu’on marchande aux autres études philosophiques. Le tiers des leçons, au moins, lui est consacré ; et il est même arrivé plus d’une fois qu’elle a occupé exclusivement les leçons de tout un semestre.

L’état de la métaphysique n’est pas beaucoup plus satisfaisant que celui de l’éthique. Elle est peu enseignée dans les universités. Les doctrines du passé n’y ont pas encore été remplacées par des théories vraiment en harmonie avec les découvertes et les besoins du temps. On y peut discerner pourtant deux mouvements de recul et deux mouvements en avant.

Les anciennes doctrines, avec un succès très inégal sans doute, continuent leur œuvre de propagande. Bien que le nombre de leurs adhérents aille tous les jours diminuant, elles étonnent et irritent par leur stérile persévérance. La défaveur qui s’attache à leurs doctrines surannées rejaillit sur la métaphysique en général. Elles contribuent ainsi d’une manière indirecte au succès du positivisme. La doctrine de Comte, malgré les contradictions que l’histoire et la théorie de l’évolution lui opposent, voit le nombre de ses partisans en Allemagne s’augmenter tous les jours. Elle plaide, avec l’empirisme comme avec la critique de Kant, la cause de l’expérience ; comme eux, elle soutient que toute nôtre science est bornée aux phénomènes. Mais elle ne voit pas que le phénoménalisme ne peut se suffire à lui-même ; et qu’il a son fondement nécessaire dans une doctrine métaphysique, qui, sans doute, ne doit rien avoir de commun avec le dogmatisme transcendant d’autrefois. La polémique du positivisme, comme celle de Hume, ne vaut que contre les erreurs de l’ancienne métaphysique : elle laisse intacts les droits de la métaphysique future. Comme le rationalisme transcendant des écoles auxquelles il succède, le positivisme constitue donc un recul pour la pensée philosophique.

Au contraire, les doctrines dont nous allons parler maintenant la sollicite en avant, bien que dans des directions différentes. Le succès, populaire en quelque sorte, des deux philosophes berlinois Edouard de Hartmann et Dühring, ne saurait faire oublier pourtant que la