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a. debon. — localisations psychologiques

localisée. Et en effet la loi fondamentale de la connaissance sensible est une loi de représentation sous la forme de l’espace : c’est ce qu’en langage vulgaire on appelle « percevoir ». Percevoir une sensation, c’est donc par le fait même la rattacher à son objet. « Une analyse approfondie des différentes espèces de sensations nous apprend, dit M. de Biran, que si l’être sentant était réduit à des impressions purement intérieures, s’il ne localisait pas les sensations, en les rapportant à une cause ou objet tangible dont l’existence fût non seulement distinguée, mais entièrement séparée de la sienne, cet être n’aurait pas même la première idée de sensation. » (Œuvres inédites, vol. I, page 41.) Tout cela est vrai, incontestable, incontesté. S’ensuit-il pourtant, ainsi que l’imagine M. Stricker, que l’acte même de percevoir n’ait point sa genèse, qu’il ne soit réductible à aucune forme embryogénique ? De la sensation à peine sentie à la perception sensible, de la sensibilité indistincte à la conscience distincte du non-moi, n’y a-t-il aucune évolution psychique, dont le pivot serait la conscience de soi (das Selbstbewusstsein), laquelle demeurerait l’élément fondamental et générateur de toute connaissance ? Plus simplement, cette union de la sensation et de la représentation d’espace dans toute perception sensible est une synthèse ; pour que cette synthèse soit en principe intelligible, en fait connue, il faut de toute nécessité que les éléments en aient été d’abord distingués par l’intuition, puis réunis en leur tout. Cette intuition synthétique n’est simple qu’en apparence ; la preuve, c’est qu’elle est, selon le cas, facile ou difficile, précoce ou tardive. Il y a des localisations familières aux malades que tel de nous ne fera jamais. En réalité, cette association d’un élément sensationnel, tactile ou visuel, avec une représentation d’étendue et de lieu, loin d’être un fait primitif, est au contraire un événement relativement avancé de notre activité intellectuelle.

Il nous paraît sage de passer sous silence les raisons empiriques invoquées par M. Stricker et empruntées à des observations faites sur les malades, les amputés. Ces faits n’ont jamais convaincu personne, et pour cause : ce sont des arguments à deux anses. Pour en finir avec ce point spécial de la discussion, M. Stricker nous permettra de lui reprocher de s’être arrêté à mi-chemin dans les voies de la psychologie. Une analyse plus profonde lui eût montré que cette sensibilité périphérique et coétendue à tous les éléments nerveux, dont il parle, n’est encore qu’une « idole » physiologique. Sentir son corps, malgré l’équivoque du mot, c’est en définitive connaître une modification affective et la rattacher à un point physique : or l’intelligence ne reçoit point d’idées toutes faites, elle les