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l’ordre de croissance ou de décroissance, des sensations. Cela revient à dire que ces sentiments d’effort moteur se trouvent non plus confondus en bloc, ni simplement distingués à titre de modifications successives et variables, mais liés en système : de telle sorte que l’une de ces sensations, prise au hasard, soutient avec les autres des rapports d’existence et de continuité, d’ordre, d’intensité, de qualité, simultanément définis par toutes les autres. D’où il suit qu’une quelconque des sensations de la série ne peut être ultérieurement éveillée dans l’esprit sans provoquer à quelque degré l’idée ou la représentation de toutes les composantes du même système. Or l’idée de coexistence, abstraction faite de toute image d’étendue, ne signifie rien de plus ; et c’est au moment où cette idée apparaît en nous, dans l’exercice de notre activité motrice, qu’éclate simultanément l’intuition à priori d’espace.

Peut-être nous adressera-t-on l’objection suivante : Les sensations de l’ouïe, elles aussi, sont susceptibles d’être disposées en séries, suivant un ordre de gradation défini ; pourquoi donc l’audition d’une gamme musicale, que l’on monte et que l’on descend, ne provoque-t-elle point directement la représentation d’un étendu ? La raison psychologique, selon nous, c’est qu’il n’y a point de continuité réelle, parfaite, entre les impressions ou sensations passives, quelles qu’elles soient, même celles de l’ouïe, ut, ré, mi… ; la continuité parfaite, pour être connue et connaissable, doit n’être en dernière analyse que la continuité d’un effort ou d’un mouvement actif. Les sons musicaux restent donc forcément disjoints, par nature.

Il est bon de remarquer que, dans toute cette analyse, on n’a considéré à dessein que les sentiments ou éléments de sentiments déterminés par l’exercice de notre activité motrice volontaire ou du moins consciente d’elle-même. On a éliminé avec soin toutes les autres indications, susceptibles d’être empruntées à la vision ou au toucher externe, et l’on s’est maintenu rigoureusement au centre du sujet sentant, sans prétendre, par aucun artifice illusoire, rayonner de ce centre psychique à une sorte de circonférence ou de limite physique, comme la périphérie du corps. C’est du dedans avant tout, c’est-à-dire du point de vue de la conscience, que je connais mon corps. En conséquence, l’explication proposée au nom de l’observation subjective est aussi générale que possible ; comme le déploiement de cette activité motrice est la condition sine qua non de l’exercice perceptif des sens, elle s’étend à toute notre activité intellectuelle dans ses rapports avec le monde extérieur, et d’abord avec l’organisme. On voit de plus que la première notion d’étendue n’est ni celle d’étendue visuelle, ni celle d’étendue tactile, mais unique-