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n’ayons pas de souvenir proprement dit. Le désir s’unit aussi, et très intimement, avec les sensations et les images. Amalgamé avec les sensations, il ne s’en distingue pas en apparence ; il semble participer à leur hétérogénéité radicale et s’appelle plaisir ou douleur physiques. Appliqué aux images, il enfante le désir proprement dit, ou vulgairement dit, et l’aversion, l’amour et la haine, ou, pour mieux dire, toutes les passions. Mais arrêtons-nous sur ces deux dernières dérivations.

Le désir peut, en effet, avoir pour but : 1o  une image étant donnée, la sensation correspondante encore absente ; 2o  une sensation d’une certaine intensité (on sait ce que j’entends par là) étant donnée, un degré supérieur de la même sensation, ou sa continuation pure et simple ; 3o  à l’inverse, une sensation étant donnée, un degré d’intensité moindre ; 4o  une sensation étant donnée, son absence, c’est-à-dire d’abord son simple souvenir, sa négation comme sensation. Ces deux derniers cas, symétriquement opposés aux deux premiers, constituent le contre-désir, nommé aversion ou répulsion. La raison pour laquelle l’esprit se prête difficilement à voir dans le désir ou la répulsion l’essence même des plaisirs ou douleurs physiques, c’est que lorsqu’on se trouve dans le second ou le troisième cas, à l’apparition d’une sensation dite agréable ou pénible, on ne remarque pas l’éveil subit, automatique, du désir positif ou négatif ; mais il est visible que, par des gradations insensibles, on passe du premier cas au second et du troisième au quatrième. On ne remarque pas non plus, à l’apparition d’une sensation quelconque, l’éveil subit de croyance ; aussi la perception n’a-t-elle généralement point l’air d’un jugement. Mais l’illusion est la même ici et là. Le préjugé par lequel nous attribuons à certaines sensations comme une propriété qui leur serait inhérente le caractère d’être agréables ou pénibles n’a ni plus ni moins de fondement que le préjugé, également enraciné, par lequel nous attribuons aux objets extérieurs nos sensations, couleur, poids, chaleur, odeur, comme si elles n’étaient pas essentiellement nôtres. Nous objectivons ainsi hors de nous ce qui est nôtre ; par la notion ordinaire du plaisir ou de la douleur et de la perception, nous objectivons en nous, en l’incorporant à ce qui est simplement nôtre, ce qui est nous, la faculté de croire et de désirer. Nous jugeons que le sang est rouge, parce qu’il est vu de cette couleur ; nous ne songeons pas aux daltoniens. Nous jugeons que la saveur sucrée du raisin est agréable, parce qu’en effet elle éveille immédiatement chez presque tous les hommes, et toujours chez les enfants, le désir de la prolonger. Mais bon nombre d’adultes aiment mieux les amers. N’y a-t-il pas cependant des sensations qu’il nous