Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/180

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
170
revue philosophique

calcul est à ses yeux subjectif et non objectif » (voy. Essais, p. 454, note). Donc, si le calcul des probabilités a une base réelle, s’il n’est pas un faux calcul, il est avéré que la croyance est une quantité interne ; ou bien elle n’est point une quantité, et il en résulte que les inventeurs de cet ordre de spéculations ont perdu leur temps.

Par malheur, ce ne sont pas les accroissements et les décroissements de la croyance, tels qu’ils sont, que détermine le calcul dont il s’agit, mais bien tels qu’ils seraient s’ils se proportionnaient exactement aux augmentations ou aux diminutions de ce qu’on pourrait appeler les raisons mathématiques de croire. Il faudrait se garder, du reste, de regarder ces raisons de croire comme des caractères intrinsèques des choses, et de restituer ainsi à la probabilité un sens objectif. Ce sont des raisons toutes subjectives elles-mêmes, qui consistent dans la connaissance que nous avons, non des causes d’un événement attendu et ignoré, mais des limites du champ hors duquel nous sommes sûrs qu’elles ne s’exerceront pas, et de la division de ce domaine en deux portions inégales, l’une appelée chances favorables, l’autre chances contraires, dont l’inégalité peut être chiffrée. J’ignore par quel concours de causes physiques, physiologiques, psychologiques, la main d’un enfant tirera à la loterie tel numéro et non tel autre ; mais je sais (certitude négative) que le numéro qui sortira sera compris entre 1 et 100 et non au delà, puisqu’il n’y a que cent billets, et, en outre (certitude positive), je sais que j’ai 10 billets et que, par conséquent, il y en a 90 que je n’ai pas. L’hypothèse consiste ici à considérer ces deux dernières certitudes comme l’équivalent partiel de la connaissance des causes, que je ne puis avoir. Cette hypothèse acceptée, tout se suit aisément, et il peut paraître assez naturel de penser que le degré de croyance d’un homme ignorant invinciblement les vraies causes doit se proportionner à la valeur mathématique des raisons de croire telles que je viens de les définir. À ce point de vue, ce calcul des crédibilités, c’est-à-dire des affirmabilités et des niabilités, serait une sorte de logique algébrique, celle-là même que nos modernes logiciens ont rêvée, et le pendant symétrique de cette science serait précisément la doctrine utilitaire de Bentham, cette morale par a plus b, qu’on pourrait appeler le calcul de désirabilités positives et négatives. Mais la difficulté pour les mathématiciens comme pour les utilitaires consiste à justifier ce devoir qu’ils m’imposent de croire ou de désirer plus ou moins, ou autrement que je ne crois et que je ne désire. Car pourquoi, en ce qui concerne les premiers dont je m’occupe maintenant, accepterais-je l’hypothèse contestable sur laquelle est fondé tout leur édifice de formules ? Or, en fait,