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en réalité, au point de vue psychologique, à deux types morbides différents.

Le premier type (représenté par les cas de Villiers, Laycock, Mortimer Granville, Sharpey, etc., etc.) est de beaucoup le plus fréquent. Si nous n’en avons donc qu’un petit nombre d’exemples, c’est pour ne pas fatiguer le lecteur par une répétition monotone et sans profit. Ce qui le caractérise psychologiquement, c’est que l’amnésie ne porte que sur les formes les moins automatiques et les moins organisées de la mémoire. Dans les cas qui appartiennent à ce groupe morbide, on ne voit disparaître ni les habitudes, ni l’aptitude à un métier manuel, à broder, ni la faculté de lire, d’écrire, de parler sa langue ou d’autres langues ; en un mot, la mémoire sous sa forme organisée ou semi-organisée reste indemne. La destruction pathologique est limitée aux Formes les plus élevées et les plus instables de la mémoire, à celles qui ont un caractère personnel et qui, accompagnées de conscience et de localisation dans le temps, constituent ce que nous avons appelé, dans le précédent article, la mémoire psychique proprement dite. — De plus, on doit remarquer aussi que l’amnésie porte sur les faits les plus récents ; que, partant du présent, elle s’étend en arrière sur une période de durée variable[1]. Au premier abord, ce fait peut surprendre, parce que rien ne paraît plus vif et plus fort que nos souvenirs récents. En réalité, ce résultat est logique, la stabilité d’un souvenir étant en raison directe de son degré d’organisation. Je n’insiste pas sur ce point, qui sera longuement examiné ailleurs.

La raison physiologique des amnésies de ce groupe ne peut donner lieu qu’à des hypothèses, et il est probable qu’elle varie suivant les cas. D’abord (observation de Laycock en particulier) la faculté d’enregistrer les expériences nouvelles est suspendue temporairement ; à mesure qu’ils paraissent, les états de conscience disparaissent sans laisser de trace. Mais les souvenirs précédemment enregistrés pendant des semaines, des mois, des années, que deviennent-ils ? Ils ont duré, ils ont été conservés et rappelés ; ils semblaient une acquisition stable, et cependant à leur place il ne reste qu’un vide. Le malade ne le comble que par artifice et indirectement à l’aide du témoignage d’autrui et de ses réflexions personnelles qui rattachent tant bien que mal son présent à ce qui lui reste de son passé. Les observations ne disent pas qu’il comble jamais ce vide par une réminiscence directe. On peut dès lors faire également deux supposi-

  1. Je dois cependant mentionner un fait rapporté par Brown-Séquard, d’après lequel un malade à la suite d’une attaque d’apoplexie aurait perdu la mémoire de cinq années de sa vie. Ces cinq ans, qui comprenaient l’époque de son mariage, finissaient juste six mois avant la date de son attaque.