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tique, etc.). Ces distinctions sont pour nous sans intérêt. Le travail de dissolution mentale reste au fond le même, quelles qu’en soient les causes, et c’est la seule chose qui nous importe. Or la question qui se pose est celle-ci : Dans cette dissolution, la perte de la mémoire suit-elle un ordre ?

Les nombreux aliénistes qui ont laissé des descriptions de la démence ne se sont pas arrêtés à cette question, sans portée pour eux. Leur témoignage n’en aura que plus de valeur, si nous pouvons découvrir chez eux une réponse ; et elle s’y trouve. Quand on interroge les meilleures autorités (Griesinger, Baillarger, Falret, Foville, etc., etc.), on découvre que l’amnésie, après avoir été limitée d’abord aux faits récents, s’étend aux idées, puis aux sentiments et aux affections et finalement aux actes. Nous avons là toutes les données d’une loi. Pour la dégager, il suffit d’examiner successivement ces divers groupes.

1o  Il est d’observation si vulgaire que l’affaiblissement de la mémoire porte d’abord sur les faits récents qu’on ne remarque pas combien cela est choquant pour le sens commun. Il serait naturel de croire à priori que les faits les plus récents, les plus voisins du présent sont les plus stables, les plus nets ; et c’est ce qui arrive à l’état normal. Mais, au début de la démence, il se produit une lésion anatomique grave : un commencement de dégénérescence des cellules nerveuses. Ces éléments en voie d’atrophie ne peuvent plus conserver les impressions nouvelles. En termes plus précis, ni une modification nouvelle dans les cellules, ni la formation de nouvelles associations dynamiques n’est possible ou au moins durable. Le conditions anatomiques de la stabilité et de la reviviscence manquent. Si le fait est totalement neuf, il ne s’inscrit pas dans les centres nerveux ou est aussitôt effacé[1]. S’il n’est qu’une répétition d’expériences antérieures et encore vivaces, le malade rejette le fait dans le passé ; les circonstances concomitantes du fait actuel s’effacent bien vite et ne permettent plus de le localiser à sa place. — Mais les modifications fixées dans les éléments nerveux depuis de longues années et devenues organiques, les associations dynamiques et les groupes d’associations cent fois et mille fois répétées persistent encore ; elles ont une plus grande force de résistance contre la destruction. Ainsi s’explique ce paradoxe de la mémoire : le nouveau meurt avant l’ancien.

  1. Dans un cas de démence sénile, un malade, pendant quatorze mois, n’a jamais reconnu son médecin, qui venait le visiter tous les jours. (Pelmann, Archiv für Psychiatrie, 1864.)