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dés, ainsi que des gens qui conduisaient le deuil. En dehors de ce registre mortuaire, il n’avait pas une idée, il ne pouvait répondre à la moindre question et n’était pas même capable de se nourrir. » — Certains idiots qui ne peuvent faire les calculs les plus élémentaires répètent sans broncher toute la table de multiplication. D’autres récitent par cœur des pages qu’on leur a apprises et ne réussissent pas à connaître les lettres de l’alphabet. Drobisch rapporte le fait suivant, dont il a été témoin : Un garçon de quatorze ans presque idiot avait eu beaucoup de peine à apprendre à lire. Il avait, néanmoins, une facilité merveilleuse pour retenir l’ordre dans lequel les mots et les lettres se succédaient. Si on lui donnait deux ou trois minutes pour parcourir une page imprimée dans une langue qu’il ne connaissait pas ou traitant de questions qu’il ignorait, il était en état d’épeler de mémoire les mots qui s’y trouvaient, absolument comme si le livre était resté ouvert devant lui[1].

L’existence de ces mémoires partielles est un fait si commun qu’on en a tiré parti pour l’éducation des idiots et des imbéciles[2].

Il faut noter encore que certains idiots atteints de manie ou de quelque autre maladie aiguë recouvrent une mémoire temporaire. Ainsi « un idiot atteint de la rage raconta un fait assez compliqué, dont il avait été témoin longtemps auparavant et qui semblait n’avoir fait aucune impression sur lui[3]. »

Dans les amnésies congénitales, ce sont les exceptions qui instruisent. La loi ne fait que confirmer cette vérité banale : la mémoire dépend de la constitution du cerveau, qui, chez les idiots et les imbéciles, est anormale. Mais la formation de ces mémoires limitées, partielles, aide à comprendre certains désordres dont nous n’avons pas encore parlé. J’incline à croire que l’investigation méthodique de ce qui se produit chez les idiots permettrait de déterminer les conditions anatomiques et physiologiques des variétés de la mémoire. Nous reviendrons sur ce point dans un prochain travail, en étudiant les désordres partiels dont nous n’avons encore rien dit.

Th. Ribot.

  1. Drobisch, Empirische Psychologie, p. 95. — Wïnslow, ouvr. cité, p. 561. — Falret, art. Amnésie, dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales.
  2. Voir sur ce sujet l’ouvrage de Ireland. On Idiocy and Imbecility. London, 1877.
  3. Griesinger, ouvrage cité, p. 431.