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elle emprunte ses matériaux au dehors. Chercher par quels chemins ces matériaux lui sont apportés, voilà à quoi se borne modestement l’ambition de M. James.

C’est pourquoi, laissant de côté les opérations supérieures de l’esprit, il examine les lois de l’association des idées dans un être qu’il suppose privé de mémoire et de la faculté de comparer. Or, ces lois peuvent s’exprimer mécaniquement : déjà Descartes et Locke, d’accord sur ce point, expliquaient les faits de ce genre par des traces laissées dans le cerveau, des canaux creusés dans la matière cérébrale par les esprits animaux (nous dirions aujourd’hui l’influx nerveux). Non seulement les idées, comme on l’admet généralement, correspondent à des mouvements ; mais les séries d’idées qui s’associent peuvent se représenter par des séries de mouvements qui se communiquent ; le parallélisme entre les deux ordres de faits se vérifie et s’étend. C’est, présentée autrement et appuyée sur d’autres arguments, l’opinion que nous avons nous-même soutenue dans la Revue philosophique[1], au moment où paraissait à Saint-Louis, dans la Popular science, l’article M. W. James.

La loi la plus générale de l’association des idées est bien connue et incontestée ; les états de conscience tendent à se reproduire dans l’ordre où ils se sont une première fois succédé. M. James, qui excelle à trouver des exemples ingénieux et curieux, montre à merveille comment, lorsque cette loi s’applique, les différentes idées qui forment une série contribuent, chacune pour sa part, à déterminer un courant de pensée auquel chacune de ces idées, si elle était séparée du tout, serait étrangère ou indifférente. Par exemple, les quatre premiers mots d’un vers que nous récitons de mémoire amènent non seulement le cinquième, mais décident, comme en vertu de la force acquise, de la liaison du cinquième avec le sixième, bien que le cinquième puisse en fait se lier plus facilement avec une infinité d’autres. Il y a entre les différents termes une liaison sympathique et étroite qu’on peut même représenter par un diagramme. Ainsi encore, pour compléter un souvenir ou reconnaître une figure, nous devons replacer l’idée incomplète dans la série d’idées dont elle fait partie, afin que les idées antérieures, parle courant qu’elles déterminent, nous reportent d’elles-mêmes vers les idées concomitantes, qui achèvent le souvenir. C’est à peu près ainsi que, ayant oublié l’orthographe d’un mot, nous l’écrivons machinalement. Ainsi, dans l’esprit, la suite des états de conscience passés se déroule d’elle-même et continuerait indéfiniment si elle n’était interrompue, soit par une sensation venue du dehors, soit par une des idées faisant partie de la série, qui prend, à un moment donné, une importance et une valeur particulières.

Pour désigner ce mode d’association, Hamilton s’est servi du mot redintègration ; M. James préfère l’appeler association complète par contiguïté. Il y a un grand nombre d’esprits qui ne dépassent pas ce

  1. No de mars 1880.