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cérébraux ; que la douleur est liée à la destruction actuelle des tissus sentants. Il se propose dans son article de compléter cette vue.

Supposons un animal absolument parfait, si bien adapté à toutes les variations possibles de son milieu que la douleur lui soit complètement inutile pour le prévenir des causes de dissolution imminente. Cet animal idéal, par instinct ou automatisme, serait préservé de toute espèce d’accident externe ou interne : n’excédant jamais la mesure de ses forces et étant par hypothèse toujours adapté à tout ce qui arrive, il n’aurait pas besoin de ce moniteur qu’on appelle la douleur. Chez cet animal, si on le considère comme le résultat d’une longue évolution, comme dérivé d’une longue suite d’ancêtres, le sentiment de la douleur aurait cessé d’exister faute de cause qui l’excite, comme la vision a cessé d’exister chez certains poissons et reptiles des grottes de la Carinthie, quoiqu’ils ne soient pas complètement aveugles. Cet animal peut être supposé doué de « mouvement perpétuel », auquel cas il ne mourrait jamais ; ou, ce qui est plus conforme aux thèses de Spencer, il peut être conçu comme aboutissant à « l’équilibre final » de la mort.

Laissons ce type idéal et examinons un homme prudent, moral, sain et civilisé. Il connaît beaucoup de causes de destruction, et sa prudence consiste à les éviter. Il tend de plus par hérédité à transmettre ces qualités à ses descendants, et nous arrivons ainsi à concevoir des êtres intelligents chez qui la conservation de la vie est devenue une fin organique, indépendante de tout sentiment de plaisir et de douleur. En une certaine mesure, cela est réalisé dans notre espèce, comme le prouve la crainte instinctive que nous avons du danger et de la mort. Ce dernier sentiment ne peut naturellement avoir pris naissance qu’après que l’idée de la mort a été formée en nous. L’animal ne l’a pas. et l’espèce humaine ne parait l’avoir acquis qu’avec lenteur. À un certain moment, les anthropoïdes ont dû se former cette idée en voyant ce qui se passait autour d’eux. Certains anthropologistes affirment que, même aujourd’hui, les sauvages les plus inférieurs n’ont pas de la mort l’idée d’une nécessité inéluctable.

Ceci jette quelque jour sur la nature du plaisir et de la douleur. Si tous les animaux avaient toujours été intelligents, ils n’auraient pas eu besoin de ce mécanisme lié à leur conservation. Quant à l’origine de ces sentiments, elle [ne peut pas être plus déterminée que celle de tout élément de la conscience. L’auteur pense cependant que le plaisir et la douleur ont dû être les formes primordiales de la conscience, puisqu’elles sont par excellence un principe de conservation dans l’individu. Le plaisir étant l’aspect subjectif d’un bon état objectif, la douleur étant le contraire, tout animal qui aurait trouvé plaisir à des actions destructives aurait péri par là même.

Nous n’avons parlé jusqu’ici que des douleurs physiques. Chez l’homme civilisé, les peines morales jouent un très grand rôle ; mais elles-mêmes ont pour accompagnement certains états physiques. On peut observer que, chez l’homme civilisé, la douleur est à beaucoup d’égards