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non comme but, il est vrai, mais comme ingrédient nécessaire, ou comme moyen propre à produire des sensations mixtes, faute de sensations agréables. Ces sensations mixtes sont le terrible et le risible.

Comment s’explique le risible ? « Par le contraste, comme l’a dit Mendelsohn, entre des imperfections et des perfections. »

« Homère a fait Thersite laid pour le rendre ridicule ; la laideur seule n’aurait pas suffi ; elle n’est qu’une imperfection et il faut, pour produire le ridicule, un contraste de perfections et d’imperfections. Le contraste ne doit pas être trop tranchant ; pour parler le langage des peintres, les couleurs doivent être opposées, mais de manière à pouvoir se fondre ou se mêler. On a beau prêter à Esope la laideur de Thersite, Esope ne devient pas ridicule, et cela parce qu’il conserve sa sagesse et sa probité.

« Mais, si la laideur ne suffit pas pour rendre Thersite ridicule, elle est cependant une des causes nécessaires de cet effet ; il faut pour le produire et la laideur de Thersite et l’accord de la laideur avec son caractère, en même temps le contraste de l’un et de l’autre avec l’opinion qu’il a de lui-même, le résultat de ses discours perfides, qui n’est humiliant que pour lui seul, sans avoir d’ailleurs aucune suite funeste. » (Laocoon, XXIII.)

Dans cette explication un peu confuse et dont il est facile de démontrer l’insuffisance, on aperçoit au moins le besoin senti de l’analyse et l’effort d’un esprit original qui entrevoit les divers côtés d’un problème complexe où il entre à la fois plusieurs éléments. Ce qui est nouveau et clairement aperçu, c’est la présence et la nécessité du laid, qui doit jouer un rôle important dans les théories subséquentes, comme on le verra plus loin dans le cours de cet exposé historique. Nous devons noter aussi et enregistrer d’autres éléments, en particulier l’absurde, que nous retrouverons également dans la seconde période. Sulzer, qui ne l’a pas trouvé, a le mérite, selon nous, d’en avoir fait ressortir l’importance. On doit lui savoir gré aussi d’avoir donné une place plus grande au comique dans sa théorie des beaux arts, d’en avoir décrit plusieurs des formes principales avec une grande justesse. Sa théorie du rire est déjà très remarquable, et nous en citerons quelques mots.

« Les choses sur lesquelles nous rions, dit-il, ont toujours quelque chose d’absurde ou d’impossible. L’état extraordinaire de l’âme (seltsame Gemuth) que le rire occasionne naît de l’incertitude de notre jugement qui fait que deux choses contradictoires (zwei widertprechende Dinge) paraissent également vraies. Dans le moment où nous voulons juger qu’une chose est telle, nous sentons le