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g. tarde. — la croyance et le désir

ment juxtaposées, serait arbitraire et absurde. Mais la hausse ou la baisse du prix des objets exprime l’accroissement ou la diminution, tantôt des désirs, tantôt des actes de foi totalisés du public qui les achète (la production des articles, l’abondance du numéraire, et le chiffre de la population restant les mêmes, par hypothèse). Ici, s’agit-il de choses peu similaires ? En tant que sentis, les plaisirs ne sauraient être additionnés, même appartenant à une seule personne, à fortiori quand ils appartiennent à des personnes différentes, par exemple, les plaisirs des fumeurs, des chasseurs, des joueurs, des clubistes, des libertins, etc. Mais, en tant que désirés plus ou moins, ils deviennent, nous le savons, parfaitement comparables. En tant qu’affirmés, crus, ils ne deviennent pas moins réductibles en nombre. La solution des problèmes ci-dessus est donc aisée d’après ce principe : entre deux avantages hétérogènes, un gouvernement démocratique, expression de la majorité des électeurs, se décidera logiquement en faveur de celui qui est réclamé par le désir national le plus fort. Par exemple, il favorisera la petite culture au détriment de la grande, le bon marché des produits au détriment de leur perfection aristocratique. Rien de plus simple, et il n’y a point de fiction là dedans. Nous verrons cependant tout à l’heure qu’une difficulté d’un nouveau genre est soulevée par cette simplification.

Revenons maintenant à Bentham : je vais montrer en quoi, notamment, son point de vue diffère du mien. Accroître la somme totale des plaisirs publics : tel est, suivant lui, l’unique but du législateur. Fort bien ; passons sur les aspérités de cette addition. Mais encore où s’arrêtera-t-elle ? faudra-t-il ne tenir compte que des peines et des plaisirs des citoyens actuellement vivants, ou bien faire entrer dans la balance, et suivant quelle proportion, les peines et plaisirs de générations futures ? Dans le cas, très fréquent, où un projet d’emprunt a pour effet de rejeter sur nos fils ou nos arrière-petits-fils la carte à payer de nos folies, est-il bon ou mauvais de voter ce projet, si avantageux pour les vivants ? Est-il bon ou mauvais, en sens inverse, de voter telles dépenses, dont nous pâtirons, mais dont profiteront nos petits-neveux, et qui paraissent nécessaires à maintenir dans cent ans l’intégrité ou la gloire de la patrie ? La réponse, si on la cherche dans la totalisation des intérêts, est impossible ; cherchée dans la totalisation des volontés, elle est d’une simplicité extrême, car nous voulons tous l’existence et la prospérité de la patrie dans un siècle, dans dix siècles, tandis que nous nous soucions fort peu du bien-être des petits-enfants de nos petits-enfants. En outre, on comprend très bien que la volonté des générations qui nous ont précédés soit prise en considération, et, favorable ou con-