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ment croyance à l’exclusion de l’élément désir. Ainsi (Traite de législation, I, p. 260) il dit : « La bonté des lois dépend de leur conformité à l’attente générale. » Les attentes, dit-il ailleurs, sont le lit dans lequel coulent les désirs. Mais il craindrait de métaphysiquer en précisant cette distinction. Il paraît, en général, ne pas se douter que le souhait général puisse entrer en conflit avec le jugement général. « Le plan qui favorise le plus d’intérêts ne peut manquer d’obtenir à la fin le plus de suffrages. »

Cependant il sent qu’il y a là une difficulté, il l’entrevoit même, mais il ne s’y arrête pas. « Une loi, dit-il (t. I, p. 265), conforme à l’utilité, peut se trouver contraire à l’opinion publique ; mais ce n’est là qu’une circonstance accidentelle et passagère. » Accidentelle ! on pourrait croire plutôt que c’est la règle. « Il ne s’agit, ajoute Bentham, que de rendre cette conformité sensible pour ramener tous les esprits. » Comme si des esprits prévenus reconnaissaient jamais leur erreur ! Accablez, malgré eux, de bienfaits éclatants comme le jour vos adversaires politiques, ils n’en crieront que plus fort.

Et puis l’attente, cette croyance qui a les biens futurs pour objet, est-elle la seule forme de la croyance nationale dont l’homme d’Etat doive se préoccuper 1 Prenons un exemple. « Votez les appointements du clergé, nous dit notre auteur (I, p. 234 et s.), votez les subventions des théâtres et des académies ; en effet la faible augmentation d’impôts qui en résultera sera un mal non senti, c’est-à-dire nul, pour les particuliers qui ressentiront tous au contraire à quelque degré les heureux effets de ces dépenses, la sécurité entretenue en partie par les maximes de la morale religieuse, et les embellissements, divers dus aux beaux-arts. » Fort bien, et cette considération de l’infinitésimal en matière de peines et de plaisirs ne manque point de justesse ni de profondeur. Mais Bentham oublie que si le fait d’une augmentation insignifiante d’impôts n’est point senti comme privation physique, il est connu, il est jugé, et que cela suffit pour le faire désirer ou repousser énergiquement. Une nation composée en majeure partie de libres penseurs et de puritains repousserait avec horreur ce fait et, de plus, nierait avec force les avantages que vous y croyez attachés. Que fera le législateur ? Si son opinion personnelle est que le public a tort de nier ces avantages, pourra-t-il subordonner cette négation nationale à son affirmation individuelle ? Mais s’ensuivra-t-il ou ne s’ensuivra-t-il pas qu’il pourra faire prévaloir son désir propre sur là répulsion générale ? Dira-t-on qu’il doit incliner ses vœux, non ses jugements, devant les vœux ou les jugements contraires du public ? Mais pourquoi l’un de ces deux genres de soumission plutôt que l’autre lui serait-il commandé ? Or, si les deux lui sont