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g. tarde. — la croyance et le désir

imposés, il devient l’esclave du peuple qu’il doit diriger ; s’il peut s’exempter des deux, il devient tyran. Au reste, il est clair que le chef d’un peuple ne saurait refouler ces deux courants à la fois, les croyances et les passions de son peuple. S’il contrarie ses passions, ce ne peut être qu’en s’appuyant sur sa confiance ou ses dogmes religieux ; s’il blesse ses convictions, ce ne peut être qu’en favorisant ses appétits.

On voit dans Lysias que le viol commis sur une femme légitime était puni beaucoup moins sévèrement que sa séduction, parce que la séduction est un mal social plus contagieux que le viol. Cependant en Grèce, comme parmi nous, on n’en peut douter, l’auteur du viol était réputé plus coupable que le séducteur, qui agit du plein gré de la femme. La loi grecque, qui a été utilitaire en ceci, a-t-elle eu raison de froisser sur ce point le sentiment public ? Tel peuple abhorre l’ivresse, en principe ; mais par cupidité il enivre d’opium deux ou trois cents millions d’hommes. Etait-il bon de lui permettre ces bénéfices réprouvés par lui-même ? Tel autre, belliqueux, professe une religion d’amour et de paix ; doit-on pour lui plaire déclarer la guerre à ses voisins ? On a vu des gouvernements s’évertuer à découvrir, à satisfaire les convoitises, les haines, les jalousies cachées dans le fond des cœurs, sans se préoccuper des jugements de réprobation inexprimés, certains toutefois, que leurs spoliations ou leurs persécutions iniques provoquaient chez ceux-là mêmes qui en bénéficiaient. Ces gouvernements ont-ils eu tort ? — Autre question. Le maître légitime, est-ce celui qui est désiré tel ou qui est jugé tel par la majorité ? Je reconnais que, en général, par voie de réaction mutuelle, les souhaits et les jugements d’une nation finissent par se mettre en harmonie, mais pas toujours et jamais sans peine. Le malheur est que, en attendant cet accord incertain, il est extrêmement difficile de lire au fond des consciences les aveux qu’elles font de certaines supériorités détestées, ou le peu de confiance des électeurs dans la durée de certaines formes gouvernementales dont ils proclament tout haut l’éternité, tandis que les désirs les plus secrets parviennent à se traduire en bulletins de vote et à s’évaluer par leur numération. Toutefois il est des actes qui rendent indubitable, à quelques époques, la foi publique en la prééminence morale ou intellectuelle de diverses classes ou castes. Les barbares mérovingiens, nouveaux convertis et regimbant encore sous le joug chrétien, ne doutaient point du caractère supérieur de leur évêque ; et sur cette conviction unanime, traduite en gestes, en attitudes respectueuses, en obéissance instinctive, se fondait la légitimité du pouvoir ecclésiastique de cet âge, comme la légitimité de nos pouvoirs s’appuie sur une volition générale. Remarquons que trop souvent le