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g. tarde. — la croyance et le désir

persuasion de s’y anéantir, n’est point altéré d’ignorance, il ne l’est que d’oubli ou plutôt de négation ; il voudrait pouvoir nier ses maux aussi fortement qu’il les affirme, et il ne se résigne que par force à se contenter de les oublier. Dans le néant d’ailleurs, si réellement ce nirvâna l’attire, que peut-il aimer, sinon la certitude qu’il en a et qu’il cherche à rendre plus vive, par une contradiction inconsciente, dans l’instant même où il abdique sa faculté d’être certain ?

Pourquoi telle certitude est-elle désirée et jugée désirable plutôt que telle autre ? Pourquoi la certitude d’être guillotiné demain, toute vive qu’elle est chez le condamné, lui est-elle si pénible ? Pourquoi la certitude de ne pouvoir aller se promener, causer, se répandre, est-elle si importune au prisonnier et au malade, et au commerçant la certitude d’être en faillite ? Pourquoi la certitude de ne pouvoir entendre, voir et toucher les phénomènes intérieurs de la molécule et de l’atome, de ne pouvoir jamais descendre au centre de la terre ni étudier la flore et la faune des planètes voisines, est-elle si décourageante parfois pour le savant et le philosophe qui se détournent avec horreur de l’ignorabimus de du Bois-Reymond, comme d’un arrêt de mort ? Parce que, désirant avant tout la certitude, nous devons naturellement désirer la certitude la plus pleine et la plus riche, c’est-à-dire celle qui a pour objet le plus grand nombre possible de certitudes conditionnelles, lesquelles, réalisées, auraient le plus grand nombre possible d’autres certitudes conditionnelles pour objet, et ainsi de suite, le tout formant la série la plus longue possible de certitudes impliquées les unes dans les autres ; or le condamné à mort sait que cette série, pour lui, va être brusquement arrêtée demain, et il aurait beau disposer pendant ces vingt-quatre heures de toute la fortune d’un Crésus et de toute la puissance d’un César, le grossissement des termes de sa série n’en compenserait pas la brièveté excessive. Le prisonnier, le malade non en danger n’ont pas à redouter le raccourcissement de leur série, mais les termes en sont rétrécis extrêmement ; leur vie, comparée à celle de l’homme libre et en bonne santé, est l’équivalent d’une somme de foi potentielle beaucoup moindre. Le commerçant sait qu’en perdant son crédit il perd la probabilité de bénéfices ultérieurs, convertibles en aliments, en vêtements, en sensations de luxe, qui lui donneraient des forces et des aptitudes nouvelles en vue de nouvelles affaires plus fructueuses encore. Le philosophe, ]e savant, qui se heurtent aux limites du savoir humain, s’étonnent et s’affligent, comme réveillés du songe doré et de l’espérance enchanteresse d’une formule infiniment claire, pénétrante et compré-