Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/291

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
281
g. tarde. — la croyance et le désir

ou une liberté incontestée, dans une fortune bien assise, ne nage-t-il pas déjà dans l’éther élyséen ? N’e-t-il pas près de croire à sa toute-puissance ? Et le savant (on devrait dire le croyant, tant il faut de force de foi pour se faire à l’idée que la terre où nous sommes va plus vite qu’un boulet de canon, que la lumière franchit soixante mille lieues par seconde, etc.), le savant qui n’admet point de bornes à l’extension future de la science et qui, souvent même, se berce de la persuasion de tout connaître, ne se prend-il pas pour un dieu ? Si l’on y réfléchit, on verra que toute la vertu pacifiante de la science, de l’aisance, de la santé, de la liberté, vient de cette illusion sourde et permanente qui les accompagne. C’est une grave erreur de penser que, sans une immense conviction et sans une immense espérance, une nation peut être en repos. Aussi, dès que commencent à décliner chez un peuple les deux mystiques certitudes, il n’y a pas à s’abuser sur l’impossibilité de l’apaiser véritablement à moins d’ouvrir désormais à tous, en compensation, et non sans péril, les horizons fuyants de la science, les perspectives illimitées de l’ambition et de la richesse.

Il me semble que j’ai à peine besoin de tirer les conclusions qui découlent des pages précédentes. Les problèmes ci-dessus indiqués, comme nés du défaut de mesure commune entre les deux quantités de l’âme, doivent nous paraître maintenant résolus. Nous n’avons pas, en effet, à nous demander jusqu’à quel point une augmentation de croyance compense une diminution de désir, ou vice versa. La mesure commune qui nous manque nous serait inutile. Les désirs d’un homme ou d’un peuple sont d’autant plus désirables qu’ils tendent à accroître davantage son approvisionnement de foi, son double trésor de croyance proprement dite et de confiance. C’est toujours répondre, sinon au plus grand désir actuel, au moins au plus grand désir futur de tous les hommes, que de consolider et d’étendre leur somme de foi. Leur maître véritable est non celui qu’ils aiment et qui leur plaît le plus, mais celui qui les instruit et les rassure le plus ; d’une part, donc, c’est, de nos jours, le grand professeur, le grand créateur de sciences nouvelles ; d’autre part, le grand homme d’État. Le premier doit répondre au besoin social ou individuel de vérité ; le second, au besoin social ou individuel de sécurité. Celui-ci a la garde de la somme considérable de foi nationale engagée dans nos droits divers. Il peut la fortifier et l’étendre, ou l’ébranler et la resserrer. La resserrer, c’est comme diminuer la vision ou émousser le tact, et rendre ainsi moins sûrs, moins précis, moins nombreux, les jugements de localisation ou autres propres à ces sens. L’étendre, c’est comme ajouter le télescope à