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les individus. L’ordre qui régit leurs relations mutuelles constitue l’ensemble des lois du monde. Au-dessus des forces anorganiques, ou des individus matériels, sont les âmes, ou les individus vivants, qui se servent des premiers comme de matériaux pour construire l’organisme et s’élever de là jusqu’au sentiment, jusqu’à la pleine conscience de soi. Après avoir ainsi réfuté le matérialisme, Carrière expose et défend la thèse de l’idéalisme, mais en la débarrassant des exagérations de certains de ses défenseurs. Kant et Fichte ont bien montré la part de l’esprit, de l’imagination dans le développement de l’idée que nous nous faisons du monde ; mais ils ont trop sacrifié le rôle de la réalité extérieure. Hegel a érigé les principes logiques en principes réels ; ç’a été le mérite d’Herbart de reconnaître la vérité supérieure de l’individu. Si Hegel, d’un autre côté, exagère le rôle de la raison, Schopenhauer pousse trop loin sa revendication des droits de la volonté. Il faut soutenir, à rencontre de l’un et de l’autre, que la volonté et la pensée ne sont pas deux principes indépendants l’un de l’autre, et ne voir en eux que les deux attributs également essentiels de la réalité absolue. Après avoir établi dans les deux premiers chapitres les principes de sa métaphysique, Carrière examine successivement des problèmes particuliers, comme les suivants : l’être et la connaissance ; conciliation de l’idéalisme et du réalisme ; l’idée de la perfection et celle du devoir ; la liberté et la loi ; le bien et le mal ; l’ordre légal et l’État ; l’origine de la vie et l’histoire. Il est amené à se prononcer sur la doctrine du transformisme, auquel Weis lui reproche de faire de trop grandes concessions. La foi religieuse de l’auteur dans la liberté humaine, l’ordre moral du monde ; sa répulsion énergique contre le pessimisme et l’athéisme inspirent les chapitres qui terminent le livre : sur le mal et la douleur ; sur l’immortalité ; sur l’art ; la religion et Dieu.

O. Fluegel : Das Ich im Leben der Völker (fin).

Le moi veut étendre son être au dehors, soumettre la nature à sa puissance. Cela ne lui suffit pas : il aspire à se rapprocher de l’infini, à s’identifier avec Dieu lui-même, soit que les Jurukares prétendent que Dieu a tiré l’homme de l’ongle d’un de ses doigts de pied, ou que les Babyloniens racontent dans leurs légendes sacrées que l’homme a été formé du mélange de la terre avec le sang de Belus, après que le Dieu se fût coupé la tête. Max Müller a raison de soutenir que, sous ces formes grossières, se traduit une foi commune dans l’étroite parenté de l’homme avec la divinité. Partout se retrouvent des pratiques théurgiques, destinées à rendre plus intime le commerce de la créature avec son créateur. Chez les Perses, le vin et le pain consacrés représentaient pour le prêtre le corps et le sang de Zoroastre, et faisaient passer dans l’âme du fidèle qui prenait part au banquet sacré les vertus divines de l’âme du prophète. Il est naturel que des peuples qui confondaient le moi et le corps aient cru à cette communion matérielle de la divinité et de l’homme. — Nous avons vu successivement le moi identifié avec le