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la forme la plus parfaite. Ne sait-on pas, en effet, qu’Alfieri déclarait n’avoir jamais pu pousser ses études géométriques au delà de la quatrième proposition d’Euclide ? La théorie des couleurs ne trahit-elle pas suffisamment l’ignorance profonde de Goethe en mathématiques ? Mais ne peut-on pas opposer à ces exemples celui de Léonard de Vinci, qui n’était pas moins grand mathématicien que grand peintre ? À quoi bon rappeler encore l’affinité du génie mathématique et du génie musical ? — Schopenhauer n’est pas moins dans l’erreur, lorsqu’il soutient que le génie, également étranger aux intérêts et aux passions de la vie pratique, ne se rencontre ni parmi les hommes politiques ni parmi les criminels. À cette théorie de l’innocence prétendue du génie se rattache indirectement la revendication tentée par l’école romantique dans la Lucinde de Schlegel en faveur des droits supérieurs du génie à la pleine liberté de la passion. — Il est plus vrai de parler avec Schopenhauer et son disciple Hartmann de l’inconscience habituelle du génie. Le talent d’ordinaire se connaît ; le génie s’ignore. Dans sa sublime naïveté, Haydn regardait comme une grâce mystérieuse d’en haut l’inspiration qui lui dictait sa symphonie de la Création, à l’âge de soixante-cinq ans. « Je n’ai jamais été plus pieux, écrit-il, que dans le temps où je travaillais à la Création. Lorsque le travail de la composition ne marchait pas à mon gré, je me retirais avec Rosenkranz dans mon oratoire, je disais un Ave, et les idées me revenaient aussitôt. Chaque jour je me mettais à genoux et priais Dieu de me donner la force d’achever heureusement mon œuvre. » — On a cherché à expliquer le génie par l’influence de l’hérédité, par celle des milieux. Les peintres et les musiciens fournissent de nombreuses preuves de la première, comme Ribot et Galton l’ont très bien montré. Seul, le génie philosophique paraît échapper à cette loi de la transmission héréditaire ; on n’en pourrait guère trouver d’autre exemple, que le cas du second Fichte. L’action des milieux est beaucoup plus discutable. Tandis qu’Helvétius croit que les temps de prospérité publique sont les plus favorables à l’éclosion des génies, Jean-Paul, au contraire, soutient que « le malheur public est le meilleur stimulant du génie… » Mais, conclut Bona Meyer, c’est à l’action mystérieuse de l’Esprit divin sur le monde qu’il est plus sage d’attribuer l’apparition des hommes de génie.

Nous n’avons à signaler que les brèves observations que Steinthal lui-même présente, à la fin de la livraison, à propos du mémoire de M. Egger sur le développement de l’intelligence et du langage chez les enfants. « À vingt mois, dit M. Egger, Emile comprend des phrases assez complexes, entre autres des commandements, qu’il sait exécuter ponctuellement. Mais il ne peut encore reproduire ni la phrase ni aucun des mots dont elle se compose. » Et M. Egger croit pouvoir en conclure que « la plupart des enfants savent interpréter exactement les paroles qu’ils entendent, avant de savoir exprimer eux-mêmes leurs idées par des signes analogues. » Steinthal conteste cette interprétation. Entre les paroles qui traduisent un commandement, l’enfant n’est impressionné que par celles qui sont accentuées le plus