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de Côme par exemple, ou dans les régions glacées du Nord. Son imagination, livrée à elle-même, s’abandonnait alors à des conceptions qui ne manquaient pas de charme, et qui intéressaient toujours par leur apparente précision ; nous étions souvent surpris par la vivacité avec laquelle elle percevait ces sensations imaginaires.

On pouvait changer facilement le cours de ces rêves artificiels et la mener dans des endroits qu’elle connaissait, au milieu de sa famille par exemple, et, parmi les siens. Elle voyait alors sa mère et ses frères vaquer à leurs travaux habituels. Ils entraient, sortaient ; et elle assistait à leurs conversations ; elle les voyait coudre, lire, etc. Mais ce qui prouve (et d’ailleurs il n’en est nul besoin) la pure subjectivité de ces phénomènes, c’est que je pouvais introduire dans la chambre, comme je le voulais, tel ou tel personnage, et faire agir à ma guise les personnes qu’elle voyait.

Chez tous les hypnotisés, j’arrivais à un résultat identique. Mon ami F… était séparé de sa mère depuis longtemps ; lorsqu’il fut endormi, je lui proposai de lui faire voir sa mère ; il accepta aussitôt. « Je la vois, je la vois, me dit-il ; elle travaille, elle pense à moi ! » et il se mit à verser des larmes de joie ; tout d’un coup, sa joie se changea en tristesse. « Hélas ! dit-il, elle ne peut pas me voir ! » et il s’agitait, désespéré.

Lorsqu’on fait ainsi voyager des somnambules dans des endroits bien déterminés, ils voient des personnes aller et venir, décrivent les faits et gestes de ces personnes, mais cependant se rendent bien compte que ce sont là des hallucinations et des visions imaginaires. V…, étant endormie, croyait être à Trouville et voyait sur la plage des parents, sa mère et sa sœur. « Eh bien, lui dis-je, parlez-leur. » — « Comment pourrais-je leur parler, me dit-elle, puisque je n’y suis pas ? »

D’autres somnambules toutefois se comportent d’une manière différente. M… entretenait des conversations avec des personnages imaginaires. Une fois, dans son rêve, le sultan lui proposait d’entrer dans le harem. Elle faisait à la fois la demande et la réponse, parlant tout haut quand elle répondait, et, quand c’était le sultan qui interrogeait, remuant simplement les lèvres, comme on fait par instinct quand on écoute attentivement le discours d’un interlocuteur.

On peut remplacer les voyages par d’autres conceptions plus ou moins fantastiques. Un jour, une des malades de Beaujon désira voir en rêve le cimetière. Arrivée devant la grille de la tombe qu’elle voulait visiter, elle s’arrêta, déclarant qu’il lui serait impossible d’aller plus loin. Je lui ordonnai néanmoins d’aller plus avant, d’ouvrir la grille, d’entrer dans la tombe, et de soulever les planches