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d’un sujet triste, de maladie, de mort, de douleur. Aussitôt elles se mettent à verser d’abondantes larmes, puis à sangloter, et il n’est pas rare de voir survenir une excitation nerveuse qui peut dégénérer en une véritable attaque de nerfs. Elles s’attendrissent aux malheurs des autres, comme si elles prenaient pour leur propre compte toutes les souffrances dont on leur parle. Elles ne savent pas séparer la fiction de la réalité. On ne saurait trouver d’auditeurs plus bienveillants et plus attentifs. Tout ce qu’on leur raconte est pris par elles au sérieux. Un jour, je dis à V… d’écouter un opéra. Elle voulut entendre Faust, et pendant quelque temps parut charmée de ce qu’elle entendait, remuant la tête et les lèvres avec la plus grande attention. Tout d’un coup elle se mit à pleurer et à éclater en sanglots. « Non, dit-elle, se cachant la tête entre les mains, je ne suis pas folle, je ne veux pas être folle. » Elle s’imaginait sans doute assister au dernier acte de Faust, et s’identifiait avec le personnage de Marguerite.

Si elles s’attristent facilement des malheurs d’autrui, elles rient assez volontiers, et leurs rires, comme leurs larmes, se terminent par une extrême surexcitation. À vrai dire elles sont plus souvent sérieuses. Les sentiments admiratifs sont provoqués sans effort. Quelques notes de musique produisent une véritable extase ; et l’on ne peut oublier ce spectacle dès qu’on a une fois assisté à la mimique merveilleuse qu’elles déploient alors. On peut aussi les prier de chanter ; et, quoique cet exercice paraisse en général leur déplaire, elles finissent par obéir. Elles chantent avec une voix sourde, émue, presque tremblante. Elles semblent alors eh chantant avoir une conviction si profonde qu’on ne peut s’empêcher d’en ressentir quelque émotion. Quelquefois ces chants se terminent par une crise de larmes, quelquefois aussi par un enthousiasme lyrique et une sorte d’extase.

Quoiqu’il y ait chez tous les somnambules de l’inertie mentale, on peut dire qu’il y a chez eux de l’excitation intellectuelle ; mais, pour que cette excitation intellectuelle se manifeste, il faut réveiller de sa torpeur l’intelligence endormie. On y arrive en suscitant des hallucinations. Alors l’imagination se donne libre carrière et construit des rêves qui témoignent d’une activité intellectuelle remarquable. Les conversations qu’on a ainsi avec un sujet endormi sont variées et attachantes. Le langage des femmes du peuple est devenu presque élégant ; les tournures de phrase sont ingénieuses, et les idées ne manquent pas d’élévation. À l’hôpital Beaujon, X.., femme de chambre, d’une intelligence médiocre, ne voulait chanter que les airs de l’Africaine, opéra qu’elle avait entendu une fois, ce qui, il me semble, n’est pas suffisant pour l’apprécier à sa juste valeur. Si