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ch. richet. — du somnambulisme provoqué

vus jadis, les faits auxquels ils ont assisté. Ils ont pendant leur sommeil décrit très exactement telle ville, telle maison qu’ils ont jadis visitée ou entrevue ; mais au réveil c’est à peine s’ils pourraient dire qu’ils y ont été autrefois. M…, qui chantait l’air du deuxième acte de l’Africaine pendant son sommeil, ne put pas en retrouver une seule note lorsqu’elle était éveillée. Cette exaltation de la mémoire, combinée avec l’exaltation de la puissance imaginative, explique très bien comment les charlatans font croire à la lucidité de leurs sujets. Voici une femme, par exemple, qui a été il y a quinze ans passer une heure ou deux à Versailles ; et qui a presque complètement oublié cette courte promenade. Elle est même absolument incapable d’affirmer qu’elle l’a faite. Cependant, qu’on vienne à l’endormir, et à lui parler de Versailles, elle saura se représenter très fidèlement les avenues, les statues, les arbres. Elle reverra le parc, les allées, la grande place, et, à la stupéfaction des assistants, donnera des détails extrêmement précis. Les auditeurs, s’ils sont naïfs, croiront à une lucidité surnaturelle, alors que cette lucidité n’est autre que l’exaltation de la mémoire.

Il n’est du reste dans ces faits rien qui soit en désaccord avec les notions vulgaires. En effet, on sait que dans certains états pathologiques la mémoire surexcitée peut faire renaître des souvenirs éloignés et qui semblaient tout à fait disparus. Dans le rêve ordinaire, nous retrouvons des faits très anciens et que nous ignorions avoir encore en mémoire. C’est que rien de ce qui a été vu ou entendu ne disparaît complètement. Chaque impression laisse une trace durable dans l’intelligence, et peut, dans certaines conditions mentales particulières, revivre et reparaître alors qu’elle semblait tout à fait anéantie. Il y a les souvenirs dont nous avons conscience, et ceux dont nous n’avons pas conscience. Ceux-là sont innombrables, et leur importance dans la vie intellectuelle est tout aussi grande que celle des souvenirs conscients.

Il est un dernier fait relatif à la mémoire et que je ne voudrais pas passer sous silence, quelque étrange qu’il puisse d’abord paraître. On peut faire perdre à une somnambule la mémoire, et non seulement la mémoire, mais encore certaine mémoire spéciale, par exemple la mémoire des noms. Je dis à V… qu’elle ne peut plus se rappeler son nom, et pendant une demi-heure elle cherche, sans y réussir, à dire qu’elle s’appelle V… Je lui dis : « Tenez, vous vous appeler V… » — « Oui, certainement. » Un instant après je lui dis : « Comment vous appelez-vous ? » Elle cherche et ne trouve pas. On peut ainsi par une simple affirmation faire perdre la mémoire des noms propres, la mémoire des localités. On peut même faire perdre