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g. lyon. — un idéaliste anglais au xviiie siècle.

Telle est la réponse que Collier eût pu taire aux plaisants[1] qui prenaient en moquerie son ouvrage et prétendaient le réfuter par l’absurde.

Toutefois une difficulté se présentait : comment expliquer, s’il était vrai que le Verbe fût la première émanation de la puissance du Père et servit à relier l’œuvre à l’artisan, que ce même Verbe eût pu devenir, à un moment de la durée, une part de cette œuvre elle-même et une pièce de l’univers créé ? Bref, si le Fils unit l’homme à Dieu pourquoi s’est-il fait homme ? À cette question grosse d’orages et de foudres, Collier répondait par un ingénieux artifice. Se fondant sur cet axiome de la Réforme que nul pouvoir au monde n’est admis à compléter ou à modifier le texte de l’Écriture, il insistait sur la lettre même des Livres saints. Qu’y lisons-nous en effet ? Que Dieu a pris un esprit comme le nôtre ? En aucune manière. « Et le Verbe s’est fait chair, » dit l’apôtre, sans ajouter : « et il s’est fait âme. » De quel droit supposer que ce complément est sous-entendu ? Pourquoi, sous prétexte d’une omission involontaire, altérer la Vérité sacrée par une addition profane ? En se faisant chair, le Verbe est demeuré dans le temps ce qu’il est pour l’éternité, toute sagesse et toute raison. L’incarnation a pu sauver l’humanité déchue sans coûter au Fils sa propre déchéance. Homme, il est demeuré le Verbe. — C’était, on le voit, revenir à la célèbre hérésie d’Apollinaire le Jeune qui lui aussi avait bien voulu admettre que le Fis descendu parmi les hommes eût été ἐνσάρκος, mais niait qu’il pût être ἔμψυχος. Revêtu d’un corps sujet à nos maux, le Verbe conservait du moins son esprit divin exempt de nos fautes et de nos faiblesses.

Ces détails sur les croyances de Collier étaient nécessaires, car, à l’époque où il écrivit, et, plus encore, dans l’entourage dévot où son ministère sacré le condamnait à vivre, théologie et philosophie étaient deux sciences sœurs qui n’allaient point l’une sans l’autre et qu’il y eût eu péril à séparer. La clef de tel bizarre système dogmatique pour qui passe en revue les écrits des méditatifs d’il y a tantôt deux siècles, doit être bien souvent cherchée dans les exigences d’une confession religieuse. Le penseur est presque toujours un croyant. De là ces métaphysiques à fausses portes et à fausses fenêtres, disposées non point, comme dit Pascal, pour la symétrie, mais par prudence ; de là ces raccords mal venus, ces compromis, ces corrections de mauvais aloi, qui répandent sur les hautes œuvres de cet âge, pourtant si voisin du nôtre, je ne sais quel air de vieillesse et

  1. It were pity to prevent the many wittings of the présent âge, who… would have notting left whereby to ridicule what they are incapable of understanding, etc. (Clavis universalis, p. 93.)