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g. lyon. — un idéaliste anglais au xviiie siècle.

n’avons point cherché à surfaire notre auteur), comment ne pas admirer la puissance de concentration dont un tel livre est la preuve, l’originalité de presque toutes les solutions adoptées, la sûreté d’un langage qui jamais ne fléchit, enfin l’indépendance d’une argumentation qui va droit son chemin, ne craint point de pousser jusqu’aux dernières conséquences et ne se laisse troubler par aucune crainte des opinions reçues ? Sans cette parfaite liberté de méthode, il n’est point de véritable esprit philosophique. Les ménagements envers les préjugés ordinaires ne sauraient être de mise dans ces régions supérieures de la connaissance. Ne fût-ce qu’à ce titre, le nom de l’auteur de la Clavis mériterait d’échapper à l’oubli.

Ce n’est pas à dire néanmoins que Collier se plaise à faire le jeu de la mauvaise foi ou de l’inintelligence. Il prend ses mesures au contraire pour n’être point travesti. Il définit avec tant de soin tous ses termes, se met si bien sur ses gardes, que nulle équivoque ne sera permise. Sans rien relâcher de sa logique en faveur de l’ignorance, il croit sage de désarmer les préventions.

Aussi, dès l’introduction, sommes-nous avertis que, si l’on se propose de nous convaincre qu’il n’y a pas de monde matériel extérieur à nous et que toute réalité tangible et visible réside dans notre esprit, à peu près de même que l’accident en la substance, ou les corps dans l’espace, toutefois il ne faut point en inférer que ce monde et cette réalité n’existent pas. Un pareil langage serait celui d’un désespéré sceptique et ne laisse d’issue à aucune controverse. Ne confondons point l’existence des corps avec leur extra-existence. Autre chose est de prétendre que nul corps n’existe, autre chose de soutenir qu’il n’existe point de corps indépendamment de l’esprit. Bref, il y a un monde ; mais ce monde ne nous est point extérieur. Les choses n’existent donc que dans l’âme qui les connaît. Il n’en faudrait pas conclure que cette âme produise à son gré les objets de ses conceptions. S’il en était ainsi, l’homme deviendrait à son tour une sorte de Créateur. La faculté qu’il a de connaître ne doit point être confondue avec la puissance qu’il a de vouloir. On peut dire qu’il y a autant de mondes perçus qu’il est d’esprits à les percevoir, les impressions de chaque sujet pensant lui appartenant en propre ; et cependant ces divers mondes se ressemblent à ce point de ne faire qu’un. Il n’y a véritablement d’extériorité qu’entre les esprits ; mais tous embrassent un même système de réalités. En un mot, ils connaissent isolément un seul univers. De même, dans un concert, l’assistance entend des notes identiques, bien qu’elles lui soient révélées par autant de sons particuliers qu’il y a d’auditeurs à les percevoir.