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krantz. — le pessimisme de leopardi.

de ne rien définir et de ne rien expliquer, puisque sa philosophie consiste justement à nier toute possibilité d’explication et de définition ? Soit ; mais encore, si sa philosophie est qu’il n’y a pas de philosophie, cela du moins est-il à démontrer ? On peut témoigner d’un beau génie philosophique à prouver que la philosophie n’existe pas. Montaigne et Pascal l’ont fait. Quand les positivistes nient la métaphysique, ils donnent des raisons ; ils tâchent d’avoir la science pour eux, ne voulant pas de la spéculation. Leopardi n’a eu ni la spéculation ni la science ; il n’a donc eu que l’imagination et l’émotion, c’est-à-dire la poésie. On peut donc dire, sans injustice, que la forme poétique de l’Infelicità l’ait illusion sur la valeur philosophique de la théorie. Nous prenons pour unité logique ce qui est plutôt monotonie de forme et d’accent, et, pour force de démonstration, ce qui n’est guère que véhémence d’affirmation.

Pour résumer l’impression d’ensemble, les dialogues sont l’élimination systématique de toutes les questions métaphysiques, la cause première, l’âme, l’immortalité, le bien, la finalité, que ceux-là mêmes qui les nient mentionnent du moins et exposent pour les réfuter. La métaphysique de Leopardi n’est pas la réfutation, pas même la négation, elle est l’omission de la métaphysique.

Mais, dans le détail, le poète redevenant psychologue, offre plus de prise à l’analyse. Lès points qui mériteraient une étude particulière sont : la conscience, l’impossibilité du bonheur, l’amour, le progrès, le suicide, le charme de la mort. On tirerait de là une série de chapitres curieux. Pour ne point dépasser notre cadre, indiquons seulement le sens de chacun de ces chapitres, et constatons que plusieurs ne sont rattachés à la thèse que par des liens d’une bien fragile subtilité.

Si Leopardi ne recherche pas la cause métaphysique de l’Infelicità, il en analyse avec une délicate précision la cause psychologique. Il la trouve en lui, et voilà pourquoi nous y avons insisté plus haut : c’est la conscience. L’âme demande à la nature : « Mais dis-moi, la grandeur et l’infortune sont-elles donc en substance une seule et même chose ? Si au contraire elles sont deux choses différentes, ne peux-tu les séparer ? » Et la nature répond : « Dans l’âme des hommes comme proportionnellement dans celle des autres animaux, elles sont inséparables, parce que l’excellence de l’âme implique une conscience plus complète, dès lors un sentiment plus vif du malheur individuel, c’est-à-dire une plus grande souffrance… Les hommes les moins aptes et les moins habitués à s’étudier eux-mêmes sont les plus prompts à se décider et les mieux faits pour l’action. Mais tes