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le suicide est un si pauvre moyen d’anéantissement, et si individuel, comme dit Schopenhauer, qu’il ne vaut vraiment pas la peine d’être employé.

Leopardi a touché à la question dans un dialogue compliqué entre Porphyre et Plotin. Sa conclusion n’est pas catégorique. Les arguments contre le suicide sont plus forts que la défense, et pourtant c’est par un beau trait de la défense qu’il termine. — Porphyre veut mourir. Cette résolution ne lui est pas suggérée par un chagrin particulier. Elle est raisonnable et raisonnée. On retrouve ici la préoccupation constante de Leopardi de faire dériver son pessimisme de son intelligence et non de sa sensibilité. « Rien au fond, dit Porphyre, n’est plus raisonnable que l’ennui. Les plaisirs, les douleurs même sont vains : l’ennui seul est sensé, qui est la conscience de la vanité du tout. »

Plotin, qui veut dissuader son ami, lui oppose une série d’arguments assez faibles et que Porphyre n’a pas de peine à réfuter. — Platon, le maître, a défendu le suicide, qui met le mortel en révolte contre la volonté divine. — Mais Platon n’est qu’un théoricien ; ses doctrines ne soutiennent pas l’épreuve de l’application. La puissance quelconque qui gouverne le monde, nature, destin, Dieu ou nécessité, est l’ennemie de l’espèce humaine ; mais dans son duel avec cette puissance l’homme aune arme contre la douleur : c’est la mort. Platon, par un mensonge funeste, a enlevé à l’humanité l’usage de cette arme. Il a créé la chimère de l’immortalité. « Aussi la pensée de la fin prochaine serait la consolation de notre vie, pleine de tant de douleurs, si toi, ô Platon, avec ce doute jeté dans l’esprit des hommes, tu n’avais arraché à cette pensée sa douceur et ne l’avais rendue la plus amère rie toutes. » Et puis, que serait cette immortalité’? « Une existence qui nous apparaît pleine d’ennuis, moins supportable encore que la vie présente. » La conception d’un paradis supportable est impossible. Leopardi se rencontre ici avec Montesquieu. Dans un joli passage des Lettres persanes Montesquieu remarque avec beaucoup d’esprit que l’imagination des hommes a toujours été d’une fécondité terrifiante pour se représenter les supplices de l’enfer, mais qu’elle est toujours restée court quand elle a voulu déterminer les occupations des bienheureux dans le séjour céleste. Elle n’a guère dépassé cette perspective, en somme assez peu séduisante : « jouer éternellement de la flûte aux pieds du trône de Dieu. »

Porphyre, qui est loin de la verve de Montesquieu, conclut que la fausse croyance à l’immortalité n’a même pas la seule efficacité qu’elle pourrait avoir : exciter les hommes au bien.

Mais, poursuit Plotin, ce n’est pas seulement Platon, c’est encore