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h. spencer. — les institutions politiques.

mais dans les premiers temps, alors que la vie se passait surtout en lutte avec les sociétés voisines, les idées morales qui pouvaient exister avaient presque exclusivement pour objet les relations intersociales : on jugeait les actions des hommes d’après leurs effets directs sur la prospérité de la tribu. Puisque la conservation de la société a la prééminence sur celle de l’individu, puisqu’elle en est la condition, il faut, dans l’étude des phénomènes sociaux, interpréter le bien et le mal plutôt dans leur sens primitif que dans leur sens moderne, et par suite considérer comme relativement bon ce qui permet à la société de survivre, quelque grandes que soient les souffrances infligées aux individus.

Si l’on veut interpréter correctement l’évolution politique, il convient d’élargir beaucoup une autre d’entre nos idées ordinaires. Les mots civilisés et sauvages doivent leur avoir donné des significations très différentes de celles qui ont cours aujourd’hui. La profonde différence, que l’usage établit tout à l’avantage des hommes qui composent les nations avancées, et au désavantage des hommes qui forment les groupes simples, ne résiste pas aux effets d’une connaissance plus complète. On trouve chez les peuples grossiers des caractères qui soutiennent la comparaison avec ceux des meilleurs d’entre les peuples cultivés. Avec peu de savoir et des arts rudimentaires, certains peuples possèdent des vertus à faire honte à ceux d’entre nous dont l’éducation et l’élégance sont les plus parfaites.

Il existe dans l’Inde des débris de certaines races primitives qui possèdent un caractère moral où l’habitude de dire la vérité parait organique. Ces indigènes ne sont pas seulement supérieurs en cela aux Hindous leurs voisins, doués d’une intelligence plus développée et en possession d’une civilisation relativement avancée ; ils le sont aussi aux Européens. On a fait la remarque dans l’Inde qu’il est des peuplades montagnardes dont on peut toujours accepter avec une confiance parfaite les affirmations ; on ne saurait en dire autant des diplomates qui trompent avec intention, ou des ministres qui font de fausses déclarations sur les affaires du cabinet. Parmi ces peuplades, on peut citer les Santals, dont Hunter dit qu’ils « sont les plus véridiques des hommes qu’il ait jamais rencontrés », et les Sourahs. « Un trait agréable de leur caractère, dit Shortt de ces derniers, c’est qu’ils sont absolument véridiques, qu’ils ne savent point mentir. » Néanmoins les relations des sexes appartiennent chez eux à un type primitif et inférieur ; il en est ainsi chez les Todas eux-mêmes, qui regardent « la fausseté comme le pire des vices ». Metz, il est vrai, raconte qu’ils usent de dissimulation envers les Européens, mais il reconnaît que c’est un effet de leur com-