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types dits civilisés et sauvages la différence n’est pas du genre que l’on suppose communément. Quelque relation qui existe entre le caractère moral et le type social, elle n’est point telle qu’elle implique à tous égards la supériorité émotionnelle de l’homme social sur l’homme présocial.

« Comment cette idée peut-elle se concilier avec celle de progrès ? » diront nombre de lecteurs. « Qu’est-ce donc qui justifie la civilisation, si, comme cette idée l’implique, on constate quelques-uns des attributs supérieurs de l’humanité portés plus haut chez des peuples sauvages, qui vivent isolés par paires dans les bois, que chez de grandes nations bien organisées, en possession d’arts merveilleusement élaborés et d’une science étendue ? » Un appel à l’analogie sera la meilleure réponse à faire.

C’est parce que la lutte pour l’existence s’est propagée dans toute l’étendue du monde animal qu’elle a été un moyen indispensable d’évolution. Nous voyons que, dans la concurrence entre les individus de même espèce, la survie des plus aptes a depuis le commencement favorisé la production d’un type supérieur ; mais ce n’est pas tout ; nous voyons encore que la guerre incessante entre les espèces est la cause principale et de la croissance et de l’organisation. Sans le conflit universel, il n’y aurait pas eu de développement des facultés actives. Les organes de perception et de locomotion se sont peu à peu développés durant l’action réciproque des individus poursuivants et des poursuivis. Les membres et les sens en se perfectionnant ont fourni un concours plus avantageux aux viscères, et les appareils viscéraux ont fourni un meilleur apport de sang aéré aux membres et aux sens ; d’autre part, un système nerveux supérieur s’est trouvé nécessaire à chaque étape pour coordonner les actions de ces appareils plus complexes. Du côté des animaux de proie la mort par inanition, et du côté de ceux qui servent de proie la mort par destruction, ont fait disparaître les individus et les espèces les moins favorablement armés. Tout progrès dans la force, la vitesse, l’agilité ou la sagacité dans les animaux d’une classe a pour conséquence nécessaire un progrès correspondant dans les animaux de l’autre classe ; sans les efforts répétés sans fin pour atteindre la proie ou échapper à l’ennemi, sous peine de la vie, ni les uns ni les autres n’auraient pu réaliser leur progrès.

Remarquons néanmoins que si cette impitoyable discipline de la nature, ce monstre « aux dents et aux griffes rouges de sang », a été une condition nécessaire de l’évolution de la vie dans le règne de la sensibilité, il n’en faut pas conclure qu’elle doive exister dans tous les temps et avec tous les êtres. L’organisation supérieure développée par