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th. ribot. — les désordres partiels de la mémoire.

mental ? Le chirurgien, même à demi insensible, retrouve ses connaissances professionnelles.

Certains malades perdent complètement la mémoire des noms propres, même du leur. Nous verrons plus loin, en étudiant l’amnésie des signes dans son évolution complète, — ce qu’on peut remarquer d’ailleurs chez les vieillards, — que les noms propres sont toujours ceux qui s’oublient le plus vite. Dans les cas suivants, cet oubli était le symptôme d’un ramollissement cérébral.

Un homme ne pouvant retrouver le nom d’un ami en est réduit à conduire son interlocuteur devant la porte où ce nom est inscrit sur une plaque de cuivre. — Un autre, après une attaque d’apoplexie, ne peut se rappeler le nom d’aucun de ses amis, mais les désigne correctement par leur âge. — M. von B…, ambassadeur à Madrid, puis à Saint-Pétersbourg se trouve, au début d’une visite, obligé de décliner son nom aux domestiques, le cherche vainement, s’adresse à son compagnon : « Pour l’amour de Dieu, dites-moi qui je suis. » Cette question excite le rire. Il insiste, et la visite finit là[1].

Chez d’autres, l’attaque d’apoplexie n’est suivie que d’une amnésie des nombres. — Un voyageur longtemps exposé au froid éprouva un grand affaiblissement de la mémoire. Il ne pouvait plus calculer de lui-même ni retenir pendant une minute le moindre calcul.

L’oubli des figures est fréquent. On ne s’en étonnera pas, puisque, à l’état normal, beaucoup de gens ont cette forme de mémoire très peu développée, très instable, et qu’elle doit résulter d’ailleurs d’une synthèse mentale assez complexe. Louyer Villermay en donne un exemple assez piquant : « Un vieillard, étant avec sa femme, s’imaginait être chez une dame à qui il consacrait autrefois toutes ses soirées, et il lui répétait constamment : « Madame, je ne puis rester plus longtemps ; il faut que je revienne près de ma femme et de mes enfants[2]. »

« J’ai connu intimement dès mon enfance, dit Carpenter, un savant remarquable. Agé de plus de soixante-dix ans, il était encore vigoureux, mais sa mémoire se mit à décliner. Il oubliait surtout les faits récents et les mots peu usités. Quoiqu’il continuât de fréquenter le Musée britannique, la Société royale et la Société géologique, il ne pouvait plus les appeler par leurs noms ; il les désignait par le terme « ce lieu public ». Il continuait à visiter ses amis, les reconnaissait

  1. Winslow, p. 266-269. On trouvera au même endroit plusieurs autres cas de ce genre.
  2. Louyer Willermay, Dict. scienc. médic, art. Mémoire.