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th. ribot. — les désordres partiels de la mémoire.

malade ne peut parler ; s’il essaye d’écrire, même impuissance ; tout au plus trace-t-il à grand’peine quelques mots inintelligibles. Sa physionomie reste intelligente. Il tâche de se faire comprendre par gestes. Il n’y a d’ailleurs aucune paralysie des muscles servant à articuler les mots ; la langue se meut librement. Tels sont les traits les plus généraux, ceux du moins qui nous intéressent.

Que s’est-il passé dans l’état psychique du malade, et, en ce qui concerne sa mémoire, qu’a-t-il perdu ? — Il suffit d’un peu de réflexion pour voir que l’amnésie des signes est d’une nature toute particulière. Elle n’est pas comparable à l’oubli des couleurs, des sons d’une langue étrangère, d’une période de la vie. Elle s’étend à toute l’activité de l’esprit ; en ce sens, elle est générale : et cependant elle est partielle, puisque le malade a conservé ses idées, ses souvenirs et juge lui-même sa situation.

Selon nous, l’amnésie des signes est surtout une maladie de la mémoire motrice ; c’est là ce qui lui donne son caractère propre, ce qui fait qu’elle s’offre sous un aspect nouveau. Mais que faut-il entendre par « mémoire motrice », expression qui au premier abord peut surprendre ? C’est une question si peu étudiée par les psychologues qu’il est difficile d’en parler clairement en passant et qu’il est impossible de la traiter tout au long.

J’ai essayé ici même[1], quoique d’une manière sommaire et insuffisante, de faire ressortir l’importance psychologique des mouvements et de montrer que tout état de conscience implique à un certain degré des éléments moteurs. Pour m’en tenir à ce qui nous concerne actuellement, je ferai remarquer que personne ne fait de difficulté pour admettre que les perceptions, les idées, les actes intellectuels en général ne sont fixés en nous, ne font partie de la mémoire qu’à la condition qu’il y ait dans l’encéphale certains résidus, qui consisteraient en modification des éléments nerveux et en association dynamique entre ces éléments. C’est à cette condition seules qu’ils sont conservés et ravivés. Mais il est nécessaire qu’il en soit de même pour les mouvements. Ceux qui nous occupent, qui se produisent dans la parole articulée, l’écriture, le dessin, la musique, les gestes ne peuvent être conservés et reproduits qu’à condition qu’il y ait des résidus moteurs, c’est-à-dire, suivant l’hypothèse tant de fois exposée, des modifications dans les éléments nerveux et des associations dynamiques entre ces éléments. Au reste, quelque opinion qu’on professe, il est clair que, s’il ne restait rien d’un mot

  1. Voir la Revue philosophique, octobre 1879. Voir aussi un excellent chapitre dans Maudsley, Physiologie de l’esprit.