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th. ribot. — les désordres partiels de la mémoire.

souvenir ni de l’accident ni de l’opération. Mais à l’âge de quinze ans, pris d’un délire fébrile, il décrivit à sa mère l’opération, les gens qui y assistaient, leur toilette et autres petits détails, avec une grande exactitude. Jusque-là, il n’en avait jamais parlé et il n’avait jamais entendu personne donner tous ces détails[1]. »

La reviviscence de langues complètement oubliées mérite de nous arrêter un peu plus longtemps. Le cas rapporté par Coleridge est si connu que je me garderai d’en parler. Il y en a beaucoup du même genre qu’on peut trouver dans les ouvrages d’Abercrombie, Hamilton, Carpenter. Le sommeil anesthésique dû au chloroforme ou à l’éther peut produire les mêmes effets que l’excitation fébrile. « Un vieux forestier avait vécu pendant sa jeunesse sur les frontières polonaises et n’avait guère parlé que le polonais. Dans la suite il n’avait habité que des districts allemands. Ses enfants assurèrent que depuis trente ou quarante ans, il n’avait entendu ni prononcé un seul mot de polonais. Pendant une anesthésie qui dura près de deux heures, cet homme parla, pria, chanta rien qu’en polonais[2]. »

Ce qui est plus curieux que le retour d’une langue, c’est le retour régressif de plusieurs langues. Malheureusement, les auteurs qui en ont parlé, rapportent ce fait à titre de simple curiosité, sans donner tous les renseignements nécessaires pour leur interprétation.

Le cas le plus net a été observé par le Dr Rush, de Philadelphie, dans ses Medical inquiries and observations upon Diseases of the Mind. « Un Italien, le D. Scandella, homme d’une érudition remarquable, résidait en Amérique. Il était maître d’italien, d’anglais et de français. Il fut pris de la fièvre jaune, dont il mourut à New-York : au commencement de sa maladie, il parla anglais ; au milieu, français ; le jour de sa mort, il parla italien, sa langue natale. »

Le même auteur parle en termes assez confus d’une femme sujette à des accès de folie transitoire. Au début, elle parlait un mauvais italien, au moment le plus aigu de sa maladie, français ; pendant la période de défervescence, allemand ; dès qu’elle entrait en convalescence, elle reprenait sa langue maternelle (l’anglais).

Si on laisse de côté cette réversion à travers plusieurs langues pour se contenter de cas plus simples, on trouve des documents précis et abondants. — Un Français vivant en Angleterre, parlant parfaitement bien l’anglais, reçut un coup à la tête. Pendant la durée de sa maladie, il ne put répondre qu’en français. — Mais il n’y a rien de plus ins-

  1. Abercrombie, ouvrage cité, p. 149.
  2. M. Duval, article Hypnotisme, dans le Nouveau dictionnaire de médecine, etc., p. 144.