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vu, si elle cesse entièrement d’être réelle pour devenir abstraite.

Appliquons ces définitions aux vérités morales ; nous verrons qu’elles présentent toutes les conditions de la certitude. D’abord, elles sont affirmées avant d’être expressément reconnues. De plus, cette certitude implicite est réelle ; car toute vérité morale est d’abord objet d’expérience. En connaissant l’idée du devoir, je subis une action ; j’agis en répondant à l’appel de la loi. Or recevoir et ressentir une action étrangère, agir nous-mêmes et sentir notre action propre, qu’est-ce, sinon l’expérience ? « Je connais du même coup ma liberté, parce que je l’expérimente, ayant un parti à prendre. — « Je connais Dieu, parce que les émotions morales que je ressens viennent de lui. » — « Je connais la nécessité morale d’une vie future, parce que la justice et la bonté qui doivent présider à cet autre monde commencent à s’exercer dans ma conscience morale. » L’imagination et la raison interviennent ensuite et complètent l’œuvre que l’expérience a commencée. Ainsi on passe de la certitude habituelle à la certitude actuelle. Après avoir fait partie de la conscience, les vérités morales deviennent objet de science, mais sans jamais perdre leur caractère réel : « L’intérêt pratique dominant l’intérêt spéculatif, le sens réel des propositions occupe plus l’esprit que le sens abstrait. »

Cherchant ensuite quel est le rôle de la volonté dans la connaissance, l’auteur montre qu’en premier lieu c’est elle qui place l’esprit dans les conditions les plus favorables pour comprendre la vérité ; de plus, l’intelligence étant discursive, et la vérité n’apparaissant pas toujours tout entière, quand l’hésitation est possible, c’est elle qui décide entre le oui et le non. Tout ceci est hors de conteste. La grande question est de savoir si la volonté a une place non seulement dans ce qui prépare et entoure le jugement, mais dans le jugement lui-même. Faut-il dire avec Descartes que l’acte de juger est toujours un acte volontaire ? M. Ollé-Laprune ne le pense pas. Il faut faire ici une distinction importante, qui a échappé à Descartes, entre l’assentiment et le consentement. On peut donner son assentiment à une chose, quand l’esprit voit clairement qu’elle est vraie, et cependant ne pas y consentir ; il arrive qu’on reconnaisse une vérité à contre-cœur ; on voudrait qu’elle ne fût pas ; on n’en prend pas son parti. « La secrète nécessité qui détermine le jugement de l’esprit ne s’étend pas jusqu’à la volonté : consentir demeure en son pouvoir ; c’est quelque chose qui sort des profondeurs mêmes de l’âme ; et le même éclat de la vérité qui force la conviction laisse libre ce parfait acquiescement. » Tantôt l’assentiment est imposé à l’esprit, comme quand il s’agit des vérités premières ou des faits d’expérience ; tantôt, quand les raisons ne sont pas assez évidentes, il dépend lui-même de la volonté ; mais le consentement est toujours volontaire et libre. En quel sens il est libre, c’est ce que l’auteur indique après une longue analyse, où il s’efforce d’épurer le concept de liberté : il s’agit de l’acte spontané par lequel lame répond à l’appel de la vérité : comme dans la vision béatifique,