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analyses. — ollé-laprune. De la certitude morale.

question de savoir s’il ne nous arrive pas d’accorder à l’erreur l’adhésion pleine et sans réserve qu’on appelle ici « le titre suffisant et nécessaire de la certitude », il est incontestable que souvent nous nous trompons sans qu’aucune raison de douter se présente à notre esprit. « Il est bien vrai, dit M. Ollé-Laprune, que dans l’usage de la vie on se déclare souvent certain sans avoir autre chose que des opinions plus ou moins autorisées, mais c’est un abus de langage. Y a-t-il, oui ou non, matière à un doute raisonnable ? » (P. 247.) Raisonnable, c’est un mot qu’on ajoute. Mais était-il raisonnable, il y a trois siècles, de douter que la terre fût immobile et que la nature eût horreur du vide ? Les fausses religions ont eu leurs martyrs. Croit-on que les hommes qui mouraient pour leur foi avaient des doutes, raisonnables ou non ? Leur assurance était pleine, entière, sans réserve. J’en crois volontiers les témoins qui signent leur credo de leur sang. Cette foi offrait tous les caractères que réclame M. Ollé-Laprune : l’existence de Dieu était démontrée à ces croyants : ils avaient l’expérience de Dieu, comme dit notre auteur. Pour le surplus, c’est-à-dire pour la manière dont ils complétaient leur connaissance de Dieu, ils faisaient de leur mieux, €’est-à-dire qu’ils se servaient des matériaux amassés par leur imagination, et avec cela ils se faisaient de Dieu une idée bizarre, ou grotesque, ou odieuse. Voilà une relation extérieure à la chose, un témoignage, qui servait de fondement à une croyance très ferme. Où était leur tort ? Dira-t-on qu’ils péchaient par ignorance ? Soit. Mais pourquoi ditesvous qu’il suffit de ne pas douter pour posséder la vérité, quand il y a tant de gens qui, ne doutant pas, ne possèdent pas la vérité ? Et on sait que c’est surtout aux ignorants qu’il arrive de douter le moins. Voilà la contradiction que l’esprit très précis de Spinoza avait su voir et éviter. — M. Ollé-Laprune a quelque part des paroles sévères pour ces criticistes auxquels il reproche, « avec un mépris presque constant de la logique ordinaire et des vigoureux procédés dont elle trace les règles, un penchant vif pour une dialectique à outrance, subtile, raffinée. » Nous ne l’accuserons ici d’aucun raffinement de dialectique. Mais quelles libertés ne prend-il pas avec les vigoureux procédés de la logique ordinaire !

En outre, qui vous assure qu’à votre tour vous n’ignorez pas quelque chose, qu’il ne vous échappe pas quelque idée, quelque circonstance capable de modifier vos vues actuelles ? La science est-elle achevée ? Avez-vous le dernier mot ? Vous ne doutez pas aujourd’hui : qui sait si vous ne douterez pas demain ? Si donc la certitude n’a pas dès à présent, comme le voulait Spinoza, un caractère positif, si elle n’est que l’absence actuelle de doute, la voilà devenue éphémère et provisoire. Y consentez-vous ?

Revenons à nos martyrs. Vous nous direz qu’il y a dans leurs erreurs « une âme de vérité », et vous vous ferez fort de les ramener par vos discours à des idées plus saines. Mais ce ne sera point par voie démonstrative, puisque vous déclarez que, dans le surplus ajouté à ce