Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/556

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
546
revue philosophique

une chose que ne peut tolérer quiconque a le souci de la liberté et de la dignité de la philosophie. En quel siècle vivons-nous, qu’il faille encore, dans la sphère de la spéculation, revendiquer la tolérance, la tolérance sans phrases, la tolérance entière, sans limite, sans réserve, sans réticence ni restriction mentale !

Mais, dit M. Ollé-Laprune, « ma conscience me défend de douter de la souveraine justice. » Eh bien ! n’en doutez pas ! Laissez de côté la question de savoir comment il se fait que tel ou tel ne pense pas comme vous ; détournez votre attention de cette question. N’êtes-vous pas de ceux qui déclarent impénétrables les voies de la Providence ? Que ne vous contentez-vous d’une si bonne réponse ? Un mystère de plus ou de moins n’est pas pour vous effrayer, et il vaut mieux, croyez le, se résigner à ne pas comprendre que d’outrager d’honnêtes athées !

Il est aisé de voir d’où vient le mal. Des deux facteurs qui contribuent à former la croyance, l’action de l’intelligence et la liberté, M. Ollé-Laprune n’en considère qu’un, et ce n’est point la liberté. Il est comme ces politiques qui plaident chaudement la cause de la liberté, mais entendent in petto qu’on ne fera de la liberté que l’usage qui leur convient ; c’est ce qu’ils appellent la liberté du bien. Ainsi M. Ollé-Laprune n’a de tendresse pour la liberté que si elle est au service des opinions qu’il partage ; elle est perverse si elle s’en écarte. C’est à notre sens, le contraire qui est vrai. Nous tenons la liberté pour bonne en elle-même, et absolument respectable jusque dans ses écarts. Nous ne voulons pas dire que tout usage de la liberté soit indifférent, qu’il n’y ait ni bien ni mal ; loin de là. Même dans la sphère de la pure croyance, nous admettons qu’il puisse y avoir des fautes ; il y a peut-être des erreurs qui sont des crimes aux yeux de Dieu. Mais, s’il en est de telles, ce n’est pas à nous d’en connaître. Ceux-là seuls les peuvent juger qui les commettent ; c’est affaire entre eux et leur conscience, ou entre leur conscience et Dieu. Pour nous, hommes, la règle est de respecter, pourvu qu’elle n’empiète pas sur autrui, de respecter toujours et partout la sainte liberté. — Par où l’on voit que, si l’on est conduit à l’intolérance, ce n’est pas pour faire une part à la liberté, c’est pour ne pas la faire assez grande. Et il serait étrange que, pour avoir embrassé trop chaudement son parti, on fût contraint de la renier !

Si, pour résumer cette longue critique, nous remontions à la source de tous les défauts que nous avons signalés, nous dirions que l’auteur est encore trop attaché à la chose en soi. Décidé, comme l’évidence l’exige, à faire une part à l’individu, à la volonté ; obstiné d’autre part à réaliser l’absolu hors de la pensée, il veut concilier des choses inconciliables ; il se débat contre l’impossible. Pour sortir de cette situation fausse, il en arrivera peut-être, par une réflexion plus approfondie, à se rapprocher de ce subjectivisme criticiste qu’il condamne sans le comprendre, puisqu’il en est encore à le considérer comme un nominalisme sceptique, oubliant que Kant et ses disciples proclament l’objec-