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g. compayré. — la folie chez l’enfant

phénomènes hallucinatoires. Il ne peut y avoir d’ailleurs, dans ces petites têtes enfantines, à peine peuplées de quelques souvenirs, que de courtes hallucinations : rien qui ressemble à ces illusions compliquées, qui font tableau et qui déroulent la variété de leurs conceptions dans l’esprit de l’homme mûr, accablé d’idées et surchargé de passions. Lorsque l’esprit a grandi, lorsque la mémoire s’est enrichie, l’illusion peut puiser à pleines mains dans le vaste magasin des idées. Chez l’enfant, tout est en raccourci, les troubles et les désordres, non moins que les opérations normales et régulières de la pensée.

D’autre part, il est évident que, chez le petit enfant qui ne parle pas encore, l’hallucination, si elle se produit, échappe aisément au contrôle de l’observateur. Rares par eux-mêmes, les faits de ce genre sont encore plus rarement observables. On ne s’étonnera donc pas que les constatations sur ce point soient si peu fréquentes. Mais, le fussent-elles encore moins, toutes les analogies nous donneraient le droit d’affirmer à priori la possibilité de l’hallucination enfantine. L’enfant rêve en effet : le petit dormeur de deux ans ou même moins pousse souvent de vrais éclats de rire, en souvenir de ses jeux et des amusements de la veille, ou des cris douloureux, comme sous l’oppression d’un songe effrayant. On le voit sourire, comme aune apparition qui l’égayé. Plus tard, il parle, il gesticule. Quoi qu’en dise Tiedemann, ces manifestations de l’enfant endormi ne sauraient s’expliquer par la seule irritabilité mécanique du corps : elles supposent un léger travail de l’imagination et de la mémoire, de fugitives impressions qui traversent le cerveau.

Quand on veut raisonner exactement sur la nature de l’enfant, il ne faut pas craindre de chercher chez l’animal des points de comparaison. L’homme enfant, dans ses actes, sinon en puissance, est ce que l’animal restera toute sa vie. Ce que l’observation découvre chez l’un peut avec vraisemblance être attribué à l’autre. Or l’animal présente parfois dans son état mental de véritables fulies et, pour nous en tenir au sujet qui nous occupe, des phénomènes hallucinatoires. De récentes expériences établissent que le chien, par exemple, dont on savait déjà qu’il rêve, qu’il aboie en songe, peut être aussi la victime de l’hallucination. Le D 1 Magnan, en injectant de l’alcool dans les veines d’un chien bien portant, a vu naître chez l’animal de sauvages accès de fureur : le chien se dresse, aboie furieusement et semble entrer en lutte avec des chiens imaginaires ; après quoi il s’apaise et rentre dans sa quiétude, tout en grognant encore une ou deux fois dans la direction de son prétendu ennemi[1].

  1. Voyez les Archives de physiologie normale et pathologique, mars et mai 1873.