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Il est arrivé qu’une imprudence, un hasard a déterminé chez des enfants des désordres analogues, de manière à fournir la preuve directe de l’existence des hallucinations enfantines. L’absorption d’une substance toxique a pu jeter un baby de quatorze mois et demi dans un état singulier, voisin de la folie, et où l’hallucination jouait son rôle. Le cas a été signalé par le Dr Thoré dans les Annales médico-psychologiques[1]. Une petite fille de quinze mois avait avalé en l’absence de sa mère un nombre considérable de graines de Datura stramonium. Presque aussitôt, l’enfant entra dans un état d’agitation qui effraya beaucoup ses parents. Le médecin appelé fit les constatations suivantes : « Un grand changement était survenu dans la vision : l’enfant semble privée de vue ; elle ne regarde aucun des objets qui l’entourent et ne fait aucune attention à ceux qui lui plaisaient et qu’elle réclamait habituellement. On lui présente une montre, ses jouets ordinaires : ils n’attirent pas son attention ; tandis qu’au contraire elle parait à la poursuite d’objets imaginaires placés à une certaine distance d’elle et qu’elle cherche à atteindre en allongeant à chaque instant ses bras et à saisir avec la main. Elle se soulève même en s’appuyant sur les côtés de son berceau, comme pour s’en rapprocher plus facilement… Elle agite ses mains dans l’espace, comme à la recherche d’objets qui s’envolent. »

Dans le cas que nous venons de citer, il y a évidemment autre chose que des convulsions désordonnées. Par ses mouvements répétés dans la même direction l’enfant manifestait bien qu’elle était le jouet d’une vision imaginaire ; obsédés par des images subjectives, ses yeux ne voyaient plus les objets réels.

Ici, comme il est naturel chez un tout petit enfant, l’hallucination a son principe dans une cause accidentelle et extérieure, dans une sorte d’empoisonnement passager[2]. Mais si nous examinons des enfants plus avancés en âge, surtout des enfants particulièrement doués sous le rapport de l’imagination et destinés par leur nature nerveuse à devenir des artistes ou des poètes, nous rencontrerons des hallucinations d’un autre ordre, suggérées par la vivacité même de leur esprit, par une surexcitation de leurs facultés. Tel est par

  1. Voyez le mémoire intitulé : Un mot sur les hallucinations dans la première enfance, par le Dr Thoré (Annales médico-psychologiques, 1859, I, p. 72-79).
  2. L’hallucination chez les enfants a quelquefois pour principe une maladie physique. « Une petite fille à laquelle je donnais des soins avait la fièvre. Elle se réveilla tout à coup le matin en poussant des cris horribles ; elle montrait avec anxiété un coin de la chambre où elle voyait de grandes ligures noires, un diable qui la menaçait du geste et de la voix. Le soir, elle eut une autre hallucination de la vue : c’étaient de grandes nappes d’eau qui tombaient du plafond… « (Annales médico-psychologiques, 1849, p. 77.)