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g. compayré. — la folie chez l’enfant

exemple le cas de Hartley Coleridge[1]. Tout enfant il s’imagina qu’il voyait près de la maison de son père une petite cataracte. À cette cataracte s’ajouta bientôt une île à laquelle il donna un nom. Peu à peu ce monde que sa fantaisie avait créé devint pour lui un monde réel, où il voyageait tous les jours. Et quand, pour complaire à son caprice, on lui demandait par quel moyen il communiquait avec cette île enchantée, il répondait, en s’inspirant d’un conte des Mille et une Nuits : « C’est sur les ailes d’un grand oiseau que j’y vais et que j’en reviens. » Si nous en croyons les témoins de ce fait psychologique, Coleridge était bien réellement convaincu de la réalité de sa vision. Son rêve poétique avait pris corps, et l’imagination de l’enfant, avivée par des lectures précoces, était dupe d’elle-même. Qui pourrait dire si chez les grands extatiques, chez les visionnaires et les rêveurs, les visions de l’âge mûr n’ont pas été préparées de même, dès les premières années de leur vie, par de petites hallucinations sans portée, qui les ont insensiblement accoutumés à vivre dans la chimère ?

On a souvent répété dans ces dernières années que l’étude des faits anormaux et morbides éclairait d’une lumière nouvelle la nature de l’esprit sain et normal. Les psychologues ne peuvent que profiter beaucoup à la fréquentation des asiles et à la lecture des aliénistes. Mais la réciproque n’est pas moins vraie : les faits les plus ordinaires de la vie jettent parfois un jour très vif sur les étrangetés de la folie. Il y a une solidarité profonde entre la psychologie morbide et la psychologie normale. Et peut-être, si la science de l’aliénation mentale, malgré les beaux travaux de ce siècle, n’est pas arrivée à débrouiller ce qu’Esquirol appelait « le chaos des misères humaines » ; c’est qu’elle attend encore que la psychologie lui fournisse un cadre exact des facultés morales, une analyse précise de leur développement naturel.

Dans le cas particulier qui nous occupe, il est certain que les faits les plus communs de la vie enfantine peuvent nous aider à comprendre comment l’état irrégulier de l’hallucination se produit chez l’enfant. Rien de plus actif, de plus vivant que le travail de l’imagination des les premières années. Précisément parce que la réflexion ne lui apporte pas de correctif, et parce qu’elle n’est pas gênée comme elle le sera [dus tard, par l’abondance des idées. L’imagination enfantine se représente les choses avec une vivacité inouïe. Menez un enfant dans un magasin, dans un appartement qu’il n’a jamais vu : ses yeux

  1. Voyez The journal of mental science, avril 1860, article de J. Crichton Browne, « Sur les maladies psychologiques du jeune âge.