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président au développement des facultés, c’est que les observateurs auront plus souvent à constater des cas de folie morale que des cas de folie intellectuelle proprement dite. On sait ce que les aliénâtes appellent la folie morale, affective ou impulsive, qui quelquefois n’est que la traduction dans les actes du désordre de l’esprit, mais qui dans d’autres circonstances, par une scission bizarre des facultés, ne porte que sur les penchants, sur les instincts, ne pervertit que la volonté en laissant l’intelligence intacte. Il est évident qu’une folie de ce genre est plus appropriée qu’aucune autre à la nature de l’enfant. La manie et le délire altèrent le jugement, le raisonnement : or le jugement est acquis, le raisonnement est acquis. Il faut quelque temps pour que l’enfant apprenne à raisonner ; il faut quelque temps aussi par conséquent pour qu’il puisse déraisonner. Mais la folie morale affecte les penchants, les instincts, et tout cela est inné ; tout cela est immédiatement transmis par l’hérédité ; tout cela aspire à agir dès les premiers jours de la vie. Comment s’étonner par suite que Ion rencontre si souvent chez les plus jeunes enfants des tendances morbides, des impulsions maladives, qui déterminent les actes les plus extravagants  ?

Le Dr Renaudin mentionne un enfant, d’une intelligence ordinaire, dont la pensée ne manifestait aucun délire, aucune incohérence, mais qui était sujet à une véritable folie des actes et de la volonté. La maladie procédait par attaques d’une irrésistible violence auxquelles correspondait toujours une complète insensibilité de la peau. Interrogé sur sa mauvaise conduite, l’enfant gardait le silence, ou bien répondait qu’il ne pouvait se maîtriser. La violence était telle, ajoute l’observateur, que « nous ne doutions pas qu’elle pût aller jusqu’au meurtre[1]. »

Un autre exemple de folie impulsive, à tendance homicide, nous est fourni par Esquirol[2]. Il s’agit d’une petite fille de sept ans et demi, qui, ayant conçu une profonde aversion contre sa belle-mère, bien que celle-ci l’eût toujours traitée avec douceur, essaya à plusieurs reprises de la tuer ainsi que son jeune frère. Son père la menaçait de la faire mettre en prison : « Cela n’empêchera pas, lui dit-elle, que ma mère et mon petit frère meurent et que je les tue. » Soumise à une sorte d’interrogatoire, voici quelles furent quelques-unes de ses réponses :

« D. Pourquoi voulez-vous tuer votre maman ? — R. Parce que je ne l’aime pas.

  1. Maudsley, op. cit., p. 287.
  2. Esquirol, op. cit., p. 386 et suiv.