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personnels. Même au début, avant que l’autorité d’un chef s’établit, il existait une autorité exercée par le groupe sur ses membres ; chacun d’eux est obligé, par le consensus de l’opinion, de prendre sa part dans la défense générale. De très bonne heure le guerrier d’une supériorité reconnue commence à exercer sur chaque membre du groupe, durant la guerre, une influence qui s’ajoute à celle qu’exerce l’opinion du groupe ; et lorsque son autorité est établie, elle favorise grandement l’action combinée. Par conséquent, depuis le commencement, ce genre de coopération sociale est une coopération consciente, et une coopération qui n’est pas entièrement une affaire de choix ; elle contrarie même souvent les désirs inspirés par l’intérêt privé. À mesure que l’organisation inaugurée par cette coopération se développe, nous voyons que, en premier lieu, la division de la société, dont le combat est le rôle, accuse les mêmes caractères plus marqués, les grades et les divisions constituant une armée coopèrent toujours davantage sous l’empire d’une autorité consciemment établie, des forces qui matent les volontés individuelles, ou, pour parler rigoureusement, qui gouvernent les individus par des motifs qui les empêchent d’agir comme ils agiraient spontanément. En second lieu, nous voyons que dans toute la société se propage une forme analogue d’organisation, analogue en ce que, en vue de conserver l’organisation militaire et le gouvernement qui la dirige, des fonctions s’établissent pareillement, qui imposent leur autorité aux citoyens et les forcent à travailler plus ou moins à des fins d’intérêt public au lieu de se consacrer à des fins d’intérêt privé. Enfin se développe simultanément une organisation nouvelle, toujours de même genre dans son principe fondamental, qui bride les actions individuelles de telle sorte que la sûreté sociale ne soit pas mise en péril par le désordre engendré par la poursuite effrénée des fins d’intérêt privé. De sorte que ce genre d’organisation sociale se distingue de l’autre parce qu’il naît de la poursuite consciente de fins d’intérêt public, au profit desquelles on impose une contrainte aux volontés individuelles, en premier lieu par la volonté combinée du groupe entier, et ensuite d’une façon plus définie par la volonté d’une autorité régulative que le groupe tire de lui-même.

Nous apercevons plus clairement la différence qui sépare ces deux genres d’organisation en observant que s’ils servent l’un et l’autre au bien de la société, ils y servent d’une manière inverse. L’organisation révélée par la division du travail en vue des fins industrielles présente une action combinée ; mais c’est une action combinée qui va directement au bien des individus et le favorise, et qui sert indirectement au bien de la société dans son ensemble en sauvegardant les