Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/657

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
647
delbœuf. — sur la fusion des sensations semblables.

nous conduit à la localisation des autres organes de sens : nous savons par elle où sont nos yeux, nos oreilles, etc., tandis que l’œil, par exemple, ne saurait en aucune façon nous apprendre où est l’oreille… »

D’après cela, — comme je le répète en note, — c’est dans l’exercice, et uniquement dans l’exercice, qu’il faut chercher l’origine de la faculté localisatrice. L’exercice a donc, lui aussi, pour effet, de multiplier les différences objectives et de leur faire atteindre le minimum subjectif indispensable au discernement. Comment cet effet se produit-il ?

Rappelons d’abord qu’à mon avis, aucune espèce de connaissance n’est possible que chez un être doué de motilité, c’est-à-dire doué de la faculté de se mouvoir totalement ou partiellement en sachant qu’il se meut. Or chacun de ses mouvements modifie la figure de la surface sensible et, par suite, les effets de l’irradiation. De sorte que le même point touché fournit une sensation propre correspondant à chaque attitude, et qu’en changeant d’attitude, on obtient plusieurs de ces sensations servant à préciser de mieux en mieux le lieu du contact. Chacun sait par sa propre expérience qu’on arrive à déterminer assez bien l’endroit du dos où l’on ressent du chatouillement, en imprimant certains mouvements au tronc et aux omoplates. Mais à cela ne se bornent pas les propriétés du mouvement volontaire.

Reprenons le problème des pointes de compas, et, pour fixer les idées, supposons que les deux points touchés appartiennent à la cuisse. En portant le doigt tour à tour sur chacun de ces points, leur distance sera cause d’une différence dans les mouvements que j’exécuterai. Première addition. Or j’ai deux mains gratifiées de dix doigts et deux bras, et je puis les manœuvrer de bien des façons pour arriver à toucher les points en question. Je puis encore les toucher avec le pied ; je puis aussi les approcher d’un corps étranger et les frotter, par exemple, contre le rebord d’une table. J’augmente ainsi le nombre des caractères différentiels, et ce nombre peut devenir à la longue assez grand pour que les deux points touchés m’apparaissent d’emblée comme distincts. Comme je l’ai dit plus haut, la mobilité et la plasticité de la langue expliquent sans peine la sensibilité de son tact ; et, d’autre part, si notre dos a une faculté localisatrice très imparfaite, cela provient de ce qu’il est d’un accès assez difficile. Le lecteur trouvera de lui-même les développements que je me dispense de donner. J’ajouterai seulement que nous avons associé aux mouvements de nos membres les mouvements des yeux, lesquels sont d’une bien plus grande précision, et que par là encore les différences précédentes sont au moins doublées en nombre. Nous les avons même triplées et quadruplées par l’usage continuel que nous faisons du miroir qui renverse le sens des mouvements. Enfin l’observation des autres hommes et des œuvres de science et d’art n’a pas moins contribué à nous donner la connaissance de nous-mêmes. C’est par là que nous nous représentons très bien, même visuellement, notre dos, quoique nous ne l’ayons jamais