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ration de tout ce luxe que ne nous offrent certes ni la Sorbonne ni le Collège de France.

Un jour, Rosenkranz, tout entier à la philosophie, grâce à l’influence de Hinrichs, emporta de la bibliothèque de l’Université un volume du Journal critique de philosophie, contenant une appréciation de Kant. de Fichte, de Jacobi par Hegel ; il en fut émerveillé. Il fit venir aussitôt son écrit sur la Différence de Schelling et de Fichte et la Phénoménologie de l’esprit. Il ne put se détacher de cette lecture ; tout le temps dont il put disposer en novembre et décembre de 1826, il l’y consacra. Voici qui va nous prouver combien cette étude avait su le captiver. Ses camarades venaient quelquefois le voir le soir ; il leur permettait de faire tout ce qu’ils voudraient, à la condition de le laisser à sa table continuer sa lecture : on ouvrait son armoire, on en tirait ses provisions de bouche, du pain, du beurre, ces jambons que sa sœur lui envoyait de temps en temps, on bourrait ses pipes, on sonnait pour faire monter de la bière, on se permettait de mauvaises plaisanteries sur l’amphitryon, et au milieu de tout ce tapage le jeune philosophe ne quittait pas son livre. Archimède ne dut pas être plus absorbé par ses figures de géométrie, lors de la prise de sa ville natale. Hegel obsédait toujours son esprit. À la Saint-Sylvestre de la même année, un de ses camarades, un théologien, avec lequel il répétait l’histoire de l’Église et la dogmatique pour le préparer à son examen de candidat, donna un punch. Après une nuit blanche, Rosenkranz rentra, ayant terriblement mal aux cheveux. Ne pouvant dormir, il va, par une froide matinée d’hiver, errer dans les montagnes voisines, toutes couvertes de neige, et, combinant dans sa tête Hegel et son cher romantisme, il se demande (p. 295) « quelle place un homme comme Parcival aurait à prendre dans la série graduelle de la phénoménologie », et aussitôt il voit poindre dans son âme l’importance que cette figure mystique pourrait avoir pour la chevalerie du moyen âge. Nous ne pouvons le suivre dans son développement. De là sortit dans les premières semaines de 1827 une dissertation sur le Parcival : « J’étais assez heureux pour avoir uni la phénoménologie de Hegel et le Parcival de Wolfram. » Il y trouvait unité immédiate, scission et réconciliation, comme l’exigeait la dialectique du maître : c’était son propre état qu’il retrouvait dans le héros du Saint-Graal : son âme était partagée entre la foi et la raison ; lui aussi pouvait arriver à la réconciliation. Tout cela, il le devait à Hegel qui le plaçait sur un terrain tout nouveau.

Notre étudiant venait de finir à Halle son curriculum des trois années d’études théologiques commencé à Berlin. Mais il était désireux de voir encore une autre université, d’entendre de nouveaux maîtres. Hinrichs lui représentait Daub, à Heidelberg, comme le premier théologien de l’époque, bien supérieur à Schleiermacher. Puis lui, le romantique, Heidelberg l’attirait par son site romantique entre tous ; il allait se trouver là dans la partie de l’Allemagne où s’est surtout déroulée l’histoire de son cher moyen âge ; enfin il savait qu’à la bibliothèque