Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
60
revue philosophique

hypothèse, la pensée est une vibration des fibres cérébrales, puisqu’on explique aujourd’hui tout par des vibrations, chaque molécule viendra à son tour vibrer exactement comme la précédente, elle donnera la même note, et vous croirez entendre le même son ; ce sera donc la même pensée que tout à l’heure, quoique la molécule ait changé. Ayant les mêmes pensées, l’homme sera le même individu. Une telle explication néanmoins n’a encore rien qui puisse satisfaire, car l’identité de la personne n’est pas attachée à l’identité des pensées. Je puis être ballotté entre les idées et les sentiments les plus contraires sans cesser d’être moi-même, et au contraire deux hommes pensant la même chose à la fois, la série des nombres, par exemple, ne deviendront pas pour cela un seul et même homme ; plusieurs cordes donnant la même note ne sont pas une seule corde. »

En remplaçant l’expression, la pensée est une vibration par l’expression, la pensée accompagne une vibration ; j’accepte l’hypothèse présentée par M. Janet, et je crois qu’on peut répondre à ses objections : L’identité de la personne, dit-il, ne peut pas être attachée à l’identité des pensées. Je puis être ballotté entre les idées et les sentiments les plus contraires sans cesser d’être moi-même. Oui, mais à condition que les sensations organiques restent sensiblement les mêmes, qu’une vague mémoire du passé reste la même, que les tendances obscures qui forment une sorte de réserve inconsciente à l’esprit et lui donnent un ton général restent les mêmes. C’est donc en somme une infime partie de la personne qui change. Si le reste change aussi, nous verrons l’idée de la personnalité s’altérer et disparaître. On pourrait dire que l’idée de la personnalité disparaît, mais que la personnalité subsiste et reste toujours la même. Cela indique seulement que certains phénomènes objectifs qui constituent l’individu persistent encore, mais n’implique pas la persistance d’une entité quelconque. En somme, beaucoup de pensées, ou plutôt d’états de conscience, possibles ou réels, les sensations visuelles, tactiles que donnent le corps resteraient encore les mêmes. Si l’on détruit absolument toute ressemblance entre les faits de conscience passés et les faits de conscience présents, entre l’état subconscient passé et l’état subconscient présent, certainement la personnalité psychologique serait entièrement détruite.

Deux hommes pensant la même chose, dit encore M. Paul Janet, ne sont pas un même homme. C’est vrai ; mais, parce que ces deux hommes diffèrent par beaucoup d’autres points, leurs tendances, leurs sentiments, leurs rapports avec leur milieu ne sont pas les mêmes. Sinon, si ces deux hommes ne différaient absolument en