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toujours par une signature, celle d’une personne morte, et porte l’empreinte de pensées intimes, d’un arrière-fonds mental que l’auteur ne voudrait pas divulguer. Certainement on constate ici un dédoublement du moi, la présence simultanée de deux séries d’idées parallèles et indépendantes, de deux centres d’action, ou, si l’on veut, de deux personnes morales juxtaposées dans le même cerveau. »

Deuxième cas. — Le deuxième cas est plus fréquent. Il peut se produire de deux manières : la rupture peut exister en ce que certains faits sont attribués à un autre moi, ou bien en ce que certains faits appartenant à un autre moi sont attribués au moi du patient. Les exemples seraient nombreux. Nous devons nous borner à en indiquer quelques-uns.

Le moi psychique, d’après les philosophes spiritualistes, ne peut varier, — d’après nous, il peut varier en un sens — ou plutôt le moi, étant une chaîne d’événements psychiques liés à des événements physiologiques, ne peut évidemment varier dans son identité, mais alors il n’a d’autre identité qu’un rapport à peu près constant avec les conditions physiologiques. Mais la conscience du moi, la notion de personnalité, la conscience de notre identité varie et se transforme. On a vu des écrivains mis en présence de leurs premières œuvres ne plus les reconnaître. Dans ce cas, on peut bien dire que c’est le même moi qui a fait l’œuvre et qui ne la reconnaît plus ; mais alors qui ne voit combien cette identité du moi diffère de celle qu’on veut bien lui attribuer ? Cette identité consiste seulement en ce que le dernier phénomène est attaché au même individu physiologique que le premier, à un individu physiologique déterminé. Quant à l’identité de la conscience du moi, cette conscience dont on voudrait faire quelque chose d’uniforme, on voit qu’elle n’existe plus. Le moi dont l’auteur a conscience n’est pas le moi qui a fait l’œuvre. Le dernier moi a disparu peu à peu en partie au moins. C’est une certaine personnalité qui a fait l’œuvre ; c’est une autre personnalité au point de vue de la conscience, qui ne la reconnaît pas. Il en est absolument comme si l’œuvre avait été faite par un moi attaché à un autre individu biologique.

On voit parfois un vieux monument romain, qui, malgré les quelques réparations par lesquelles on a essayé de le rajeunir, tombe en ruines et ne présente plus que quelques-unes de ses parties d’autrefois. Supposons que toutes les pierres aient été changées et que, malgré cela, le monument ait fini par se dégrader. Voilà à peu près l’image de l’évolution de notre conscience de la personnalité. Elle change peu à peu ; mais sa forme reste sensiblement la même, et nous n’avons pas conscience d’une différence sensible ; mais quand une secousse forte,